Asma LAMRABET

Article Journal La Croix: un regard féminin sur le sacré en islam

 

 

Asma Lamrabet, un regard féminin sur le sacré en Islam

Cette femme médecin, qui a entrepris de déconstruire les interprétations patriarcales du Coran, fait progresser ses thèses au sein de la Rabita des oulémas, au cœur du système institutionnel marocain

13/5/14 - 10 H 01


 

 

Asma Lamrabet.

« L’islam au Maroc est conciliant et ouvert. Mais sur la question des femmes, les responsables religieux et politiques, même libéraux ou socialistes, ont un discours machiste archaïque. » 

À 54 ans, après un long travail de relecture des « textes sacrés dans une perspective féminine »,Asma Lamrabet a acquis cette conviction : le problème est « idéologique plus que religieux », mais l’ignorance des musulmans facilite cette« instrumentalisation » des textes.

« UNE TROISIÈME VOIE »

Confidentiel au départ, son travail a gagné en notoriété, « mais plutôt dans le monde anglo-saxon ». Elle a même été invitée en Malaisie pour l’un de ces nombreux colloques ou conférences qui réunissent les « féministes musulmanes ». Ce médecin hématologue, spécialiste du diagnostic du cancer chez l’enfant, exerce d’ordinaire le matin à l’hôpital Avicenne de Rabat. L’après-midi, elle répond aux nombreux courriers et demandes d’interviews qu’elle reçoit. 

Revers de la médaille, cette publicité accrue lui vaut aussi quelques soucis avec les religieux « conservateurs » qui l’accusent de « réformisme »« Je propose une troisième voie en m’appuyant à la fois sur le référentiel islamique et la modernité, les droits de l’homme », se borne à leur répondre cette mère d’un garçon, qui sera « bientôt grand-mère ».

AU COEUR DU SYSTÈME

L’originalité d’Asma Lamrabet est d’avoir accepté de porter son combat à l’intérieur même du système : en 2011, elle a accepté la proposition d’Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Rabita Mohammadia des oulémas du Maroc – une association d’intérêt général créée par le roi Mohammed VI pour promouvoir un « islam ouvert et tolérant » –, de fonder au sein de cette institution un Centre des études féminines en islam. 

« J’ai hésité parce que cela questionne mon indépendance intellectuelle. Dans mes conférences, je suis parfois obligée de préciser que je m’exprime en mon nom propre. Mais de l’autre côté, cela donne de la crédibilité à mon discours », explique-t-elle. Une crédibilité bien utile, par exemple, pour promouvoir « sur le terrain » la réforme du « code de la famille » (Moudawana), décidée en 2004, et qui instaure notamment une nouvelle « coresponsabilité parentale » qui remplace l’autorité du chef de famille…

« MA FOI ME DONNE ENVIE DE CHANGER LES CHOSES »

Sa position ne l’empêche pas de soulever quelques tabous. L’an dernier, elle a rappelé que « la mixité dans les mosquées n’était pas un interdit coranique ». Devant le tollé, la Rabita l’a soutenue dans une déclaration écrite. Quelques semaines plus tard, elle a affirmé que le port du voile n’était pas « une obligation » mais « un choix pour les femmes ». « Je ne suis pas une militante. Dans ma vie personnelle, je n’ai rien à revendiquer », explique-t-elle dans sa villa du quartier chic de Souissi, à Rabat. « Mais je le fais pour les autres. Surtout, ma foi me donne envie de changer les choses. »

À ceux qui la soupçonnent de « surfer sur une vague porteuse », ou de ne plus se consacrer assez à ses recherches, elle répond que « critiquer de l’intérieur est plus long et plus compliqué ». « Mais en dix ans, je vois déjà le changement », assure-t-elle, consciente toutefois de la nécessité d’une vraie réforme de l’enseignement religieux au Maroc. « Aujourd’hui, pour la plupart des Marocains, tout ce qui est sacré est intangible », regrette-t-elle.

Et qu’on ne lui parle pas de la création récente des « mourchidates », ces guides féminines de la prière : « Certes, sur le plan symbolique, faire entrer une femme dans l’espace du sacré est un pas en avant. Mais leur formation les cantonne à un discours très basique sur le voile, les ablutions, etc. Ce n’est pas elles qui vont revendiquer l’égalité entre hommes et femmes ! »

Son inspiration :  une quête identitaire

À la fin de ses études de médecine, une « quête identitaire » pousse Asma Lamrabet à revenir « aux sources » de sa foi. « J’avais reçu une éducation très occidentalisée, et ma culture arabo-musulmane était défaillante »,reconnaît-elle aujourd’hui. Guidée dans ses lectures par les érudits de sa famille, souvent soufis, elle relit les textes islamiques, leurs interprétations… et prend conscience « du décalage entre ceux-ci et l’interprétation sexiste et discriminatoire qui en est faite ». En Amérique latine, où elle a suivi son mari diplomate, les « croyantes à la fois pratiquantes et modernes » qu’elle rencontre, inspirées par « la théologie de la libération », achèvent de la convaincre de l’importance du travail à mener. En 2002, elle publie – en français – son premier ouvrageMusulmane tout simplement (Éditions Tawhid) dans lequel elle retrace ses découvertes.

Anne-Bénédicte Hoffner

http://www.la-croix.com/Religion/Actualite/Asma-Lamrabet-un-regard-feminin-sur-le-sacre-en-Islam-2014-05-13-1149405

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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