Asma LAMRABET

Au-delà du voile

Il est difficile de rester objectif sur un sujet aussi passionnel que le voile de la femme
musulmane, du fait de l’impressionnante quantité de stéréotypes et de non-dits qui
se sont finalement accumulés autour de ce thème. Le débat en France -qui frise les
délires d’une paranoïa collective- sur une loi d’interdiction de ce voile, en est un
exemple vivant. Un grand nombre de musulmans n’arrivent pas aujourd’hui à
dépasser le stade de la réactivité. On « défendra » le voile ou foulard islamique car il
a fini par symboliser toute l’identité musulmane. Une identité forcément meurtrie qui
s’agrippe à des signes « ostensibles » comme à une bouée de sauvetage…

Même dans les sociétés majoritairement musulmanes on peine à formuler un
discours serein et dépassionné.

Entre les tributaires d’une analyse forcément exclusive, du genre le voile c’est le
symbole par excellence de l’oppression des femmes et ceux, défenseurs
inconditionnels d’un voile, le seul à même de garantir le « bon comportement
islamique » il y a tout un monde… d’incompréhension, de malentendus et de
déductions très simplistes.

Le clivage est réellement consommé et chacun de son coté alimentera les préjugés
et les clichés les plus absurdes !

Pour les défenseurs invétérés, il s’agit de protéger un principe religieux qui à lui seul
présumerait de la spiritualité dont une femme aurait besoin. Toujours cette
obsession de réduire le religieux à une devanture impeccable, parce que plus on est
dans l’extériorisation des signes religieux, plus on est dans « l’islamiquement
correct » !! C’est tout le contraire de ce qu’une véritable éducation islamique aurait
transmis comme message de spiritualité, où la piété ne saurait être évaluée sous
l’unique aune de la visibilité.

Dans l’autre extrême, « les champions de la liberté d’expression » ont décidé de voir
en toute voilée les deux faces d’une même monnaie : soit celle de l’éternelle
opprimée soumise à des lois patriarcales cruelles, victime d’une communauté
musulmane extrémiste, ou bien pour celle qui fait dans la revendication de son voile,
une irresponsable, forcément manipulée ou auto aliénée …C’est au choix !!! On ne
fera plus dans la nuance, tout débat sera là aussi jugé inutile car l’amalgame est de
mise et sortir de ce type de raisonnement est presque de l’ordre de l’impossible. On
s’approprie sans verdict le droit de condamner des cœurs…Tous les cœurs…C’est la
logique même de l’intolérance que nombre de ces « libéraux » combattent au nom
d’une émancipation féminine soi disant universelle !!

Or, il est important de rappeler que la « prescription religieuse » du port du voile
participe de la liberté de conscience, et de ce fait s’inscrit dans le domaine des droits
privés de tout être humain. Autrement dit, il s’agit là de conviction profonde. Et dans
ce domaine, nul n’a le droit de juger de la conformité ou non d’une conviction. C’est
bien de liberté qu’il s’agit. La liberté de choix d’une femme qui ressent la nécessité
de se voiler comme un acte d’adoration, un acte intime implicite entre elle et Son
Créateur et de celle qui en connaissance de cause ne « ressentira » pas cette

prescription, son acte de soumission à Dieu se situera ailleurs. Entre les deux choix
qui s’adjugera le droit de décider que le premier est révélateur d’une aliénation et le
second d’une libération ??

Il serait inutile de passer en revue tout l’argumentaire justifié par les tenants du
discours pour ou contre le voile. Je citerais cependant deux qui reviennent
fréquemment et qui à mon humble avis restent très insuffisants : Il s’agit d’abord de
celui de la « Pudeur » comme preuve de la finalité du voile chez les défenseurs de ce
dernier et celui de l’exclusivité de l’intériorité de la foi chez les adversaires ou
autrement dit, ceux qui jugent que la foi est une affaire de cœur et qu’elle se doit
d’être confinée dans le domaine d’un privé sous entendu discret ou mieux
invisible !!! L’inconvenance de la première thèse est évidente, puisque cela
reviendrait à dire que toute la notion de la pudeur se résume à un voile, et que le
reste des femmes de la terre non voilées, musulmanes ou non feraient dans
l’impudeur. Ce qui n’est ni juste ni sensé. Celle concernant la privatisation de la foi
serait également déplacée, puisque confiner la religiosité à la pure intériorité, c’est
refuser l’espace de témoignage de toute dimension spirituelle et ce quelque soit son
origine. Or toutes les spiritualités s’accomplissent par une manifestation
d’extériorisation légitime. Dénier aux religions toute dimension d’expression
publique, reviendrait à dénier à toutes les spiritualités le droit élémentaire à « la
liberté du culte » !!!

Somme toute, tout ce débat sur le voile reste un débat d’une intense superficialité et
ce pour deux raisons : pour les uns, c’est un formidable épouvantail politique qu’on
utilise par le biais d’une médiatisation forcenée afin de mettre en veilleuse tous les
autres vrais problèmes sociaux que vit un pays comme la France. Pour les autres,
autrement dit certains musulmans, c’est malheureusement un débat de forme qui
fait l’impasse sur le fond, car il omet de parler du plus important à savoir à quel
statut d’autonomie de la femme musulmane veut-on accéder ? Car voilée ou pas le
problème n’est vraiment pas là, il est bien ailleurs dans cette incapacité des femmes
musulmanes à cerner leur difficultés, à faire entendre leurs voix et à lutter contre
toutes les formes de discrimination dont elles sont souvent, si ce n’est toujours les
premières à en pâtir dans tous les types de sociétés , aussi bien en Occident que
celles majoritairement musulmanes. Voilée ou pas le défi n’est pas de convaincre de
la juste cause d’une conviction religieuse- qu’on a le droit de ne pas partager- mais
bien celui de dépasser ces clivages idéologiques qui font des femmes , les « otages »
malgré-elles d’une pauvreté intellectuelle qui mine toutes les potentialités.

Les défis qui attendent la femme musulmane par ces temps qui court sont énormes
et pluriels. Ils ne doivent pas se limiter à des revendications obsédées par
l’identitaire. Il s’agit d’abord de retrouver les termes d’une véritable émancipation
digne et fidèle à des valeurs qui tout en étant islamiques sur la forme, sont
véritablement universelles dans le fond. C’est aussi donner aux femmes à toutes les
femmes quelque soit leurs approche du religieux, leur engagement moral ou
spirituel, le droit de participer chacune à sa manière à la construction d’un projet de
société qui se fonde sur les principes d’égalité entre femmes et hommes, le respect
des droits de la personne et la liberté de conscience. Le respect de tous ces principes
nous impose de reconnaître à l’autre la légitimité de penser et de s’exprimer et ce
quels
que
soient
ses
convictions…
Il est vrai que dans ce climat d’islamophobie intense, il est difficile de rester serein et
de ne pas faire dans le passionnel , mais les femmes musulmanes qui ont choisi de
« revendiquer » le port du foulard et les hommes musulmans qui se sentent

stigmatisés par des lois injustes comme celle qui concerne le foulard islamique ne
doivent pas répondre à ce genre de discrimination par un discours communautariste
de victimisation .C’est de liberté individuelle qu’il s’agit. De valeurs universelles …Et
au-delà de la légitimité religieuse, il y a le respect des libertés, et c’est cela qu’il
faudrait revendiquer avant tout… « Ne touche pas à mon voile c’est bien …mais ne
touche pas à ma liberté …c’est mieux.. »

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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