Asma LAMRABET

De la nécessité de débattre de la liberté religieuse…

Asma Lamrabet
Rabat 15-10-2009

Des jeunes marocains  ont voulu organiser un pique–nique « symbolique » pour protester contre la loi qui punit la rupture du jeûne du Ramadan. Cette histoire a déclenché un « branle- bas de combat » social et politique et un déferlement de pamphlets où l’on n’a pêle - mêle, parler de complot, de menace sécuritaire et d’abjuration religieuse.

Tout d’abord et disons-le tout de suite ce geste est débordant de maladresse …On ne peut pas le légitimer par le besoin – imminent ?- de protester contre une loi – aussi inique soit-elle – ni encore moins par la nécessité  de provoquer le débat. Il y avait bien d’autres manières de le faire et d’éviter ainsi tout cet imbroglio. Car tout aussi symbolique qu’il soit dans sa « forme » - ou son intention – ce geste reste lourd de significations dans sa perception et dans son interprétation au sein d’un imaginaire collectif aussi fragilisé que le notre.

Un geste tel que celui ci est avant tout perçu  dans notre réalité comme un geste de défi vis à vis des « repères » symboliques de la société, représentés essentiellement par le culte religieux. Alors que l’éthique du message spirituel de l’islam est complètement vidée de son essence par des discours religieux pompeux et surannés. De tels gestes sont  aussi ressentis, par le commun des croyants, comme  un « pied de nez » à leur sincérité de simples pratiquants, à leur observance religieuse, à l’entente consensuelle vis à vis du sacré et à leur respect absolu des traditions.

Ces jeunes ont été maladroits dans la façon dont ils ont voulu exprimer leur refus d’une loi qui condamne les consciences certes mais leur geste  porte aussi une part d’inconscience puisqu’il témoigne, entre autres, du profond décalage que vivent ces jeunes - sûrement en quête d’un idéal de liberté - avec la réalité structurante de la société dans laquelle ils vivent. Ils n’ont certes pas mesuré les conséquences de leurs actes dans une société où l’identité religieuse, est devenue l’un des derniers étendards à préserver et où de tels actes par la force de l’histoire sont devenues de véritables sacrilèges alors que tant d’actes en contradiction flagrante avec  l’exigence de justice de l’islam sont commis, tous les jours que Dieu fait,  le plus naturellement du monde et sans choquer aucune conscience religieuse !

Ces jeunes avec leur mouvement contestataire n’ont pas raison de prétendre, changer, en un quart de tour, des mœurs si profondément ancrées au nom de la liberté de conscience.  Mais, en aucun cas, cela devrait être une raison pour les vilipender ou les condamner aux gémonies comme on l’a fait. Et le faire de surcroît au nom du religieux montre à quel point la religion est instrumentalisée par certains afin de servir leurs calculs politiques. Ceci dit, ces jeunes ont quand même mis le doigt sur une question fort délicate, celle de notre approche de la  liberté religieuse en islam et  à travers un geste incongru,  ils ont déclenché des réactions qui ne sont en fait que le reflet de la complexité de nos contradictions internes !

Evidemment, cette affaire incite donc au débat sur la liberté religieuse et le droit de croire ou non, à la liberté de conscience, à la liberté du culte. La liberté religieuse est faut –il le rappeler une exigence propre immanent du cœur du message de l’islam. D’ailleurs on peut se demander logiquement quelle valeur intrinsèque  aurait la foi sous le poids de la contrainte ? Aucune. Le verset le plus souvent cité pour authentifier ce principe est celui de  «  Nulle contrainte en religion » (2 ;256).  Mais, en fait,  le Coran en contient plusieurs, tout autant clairs les uns que les autres, « Et dis : La vérité émane de votre Créateur ; quiconque veut croire qu’il croie et quiconque veut ne pas croire qu’il le fasse ». (18 ;29) . Et encore, « si ton Créateur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens jusqu’à ce qu’ils deviennent croyants ? » (10 ; 99). Dans plusieurs autres versets et relativement dans le même sens, le Coran tente de dissuader contre  toute présomption à la contrainte et notamment met en garde ceux qui seraient tentés de condamner les autres au nom d’un pouvoir religieux qui leur serait octroyé.

Cependant, force est de constater que cette injonction coranique au libre choix dans les croyances a été souvent,  au cours de l’histoire islamique,  tributaire des enjeux sociopolitiques et a été contournée, voire dévoyée,  afin de faire prévaloir un totalitarisme politique camouflé sous le concept « garde fou » de la préservation du religieux.

 Le devenir de la liberté religieuse en terres d’islam sous les soubresauts de l’histoire est devenu ce qu’il est, c’est à dire, une illusion de l’ordre de la rhétorique,  entièrement ensevelie sous le poids des dérives politiques. De nombreux  juristes théologiens ont d’ailleurs compilé des théories juridiques restrictives de la liberté religieuse  afin de cautionner l’autorité des  gouvernants. La liberté de croire a été refoulée dans les bas fonds de l’histoire et toute contestation de l’ordre politique établi était assimilée à une apostasie pour laquelle les pires sanctions ont été légiférées. C’est là toute la question autour justement de cette notion  d’apostasie et du flou juridique qui l’entoure, qui se pose crucialement aujourd’hui au monde musulman et dont ce dernier peine à répondre devant tellement d’idées reçues accumulées le long de son histoire. Mais notre drame justement c’est cette « inculture » généralisée concernant notre propre histoire, notamment celle qui a été volontairement occultée et qui fait que ces idées reçues soient devenues par la force des choses des croyances figées.

Il serait peut être intéressant de rappeler aussi que dans le Coran « arridah » qui veut dire se « détourner de sa foi » n’est  sanctionnée d’aucune peine temporelle. En d’autres termes c’est une question qui relève du privé et de la stricte relation entre la personne et le Créateur. Quant à la tradition du prophète, les seuls hadiths qui justifient les peines se réfèrent, non pas , comme il est usuel de le penser, au changement de foi, mais bien à une trahison mettant potentiellement en danger l’état musulman. C’est donc la trahison politique et non la conviction intime qui était visée par les textes de la tradition, ce qui forcément devrait replacer le débat dans une toute autre perspective.

La question de la liberté religieuse est fondamentale aujourd’hui plus qu’hier  devant les mutations en cours dans nos sociétés déboussolées par une mondialisation sans âme qui ébranle jusqu’à nos plus intimes convictions. Cependant, il faudrait ne pas se leurrer aussi pas des slogans moralisateurs sur l’inconvenance de notre tradition religieuse par rapport aux libertés et droits humains. Toutes les autres traditions religieuses ont eu leurs histoires d’atteinte à la liberté de conscience et alors qu’en terre d’islam régnait une grande tolérance,  l’occident chrétien sombrait dans les exactions d’une inquisition effroyable due à l’autoritarisme  de l’Eglise. Et c’est justement pour cela que dans la conception de la tradition islamique, il n’y a pas d’institution cléricale de la sorte, afin d’éviter que la religion s’institutionnalise et ne donne naissance à un pouvoir religieux qui agit sous forme de contrainte et entrave la liberté de croyance individuelle. 

La problématique de la liberté de conscience n’est donc pas inhérente aux textes sacrés de l’islam mais c’est une question qui relève plutôt de l’interprétation  de ces mêmes textes, elle-même complètement subordonnée aux conjonctures politiques. La question est donc éminemment politique  et reste intimement liée au degré de démocratisation de la société en question. Cette liberté religieuse est même une condition préalable à l’établissement d’autres libertés publiques et tant que nos espaces politiques resteront barricadés par des lectures religieuses tronquées il sera difficile de parler de liberté, encore moins de droits, de devoirs et de citoyenneté.

C’est donc sur ces questions de fond que l’on devrait instaurer les vrais débats dont nos sociétés ont tellement besoin. Et que l’on vienne surtout pas nous dire que nos peuples ne sont pas assez murs pour débattre de ces thèmes là, comme elles ne sont pas, aux yeux de certains, prêts pour une vraie démocratie…Ce sont des subterfuges classiques qui en fait prouvent qu’en réalité ce sont nos décideurs politiques  qui ne sont pas prêts à instaurer ce genre de débat encore moins à en concrétiser les principes. 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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