Asma LAMRABET

Femmes et politique en islam : entre les textes et la réalité contemporaine

 

Asma Lamrabet

 

La question de la participation politique des femmes en islam a toujours été l’objet d’un débat fortement controversé et ce aussi bien dans le discours islamique prédominant contemporain que dans les commentaires classiques.

Il est vrai aujourd’hui et ce,  dans la grande majorité des sociétés musulmanes, que la question de la participation politique des femmes est admise du moins en théorie quoique sa mise en pratique reste relativement peu concrétisée voire dès fois impossible à réaliser dans certains pays du fait de la présence d’un socle de traditions réfractaires à toute remise en question de ce préjugé.  

« L’islam interdit aux femmes d’accéder aux postes de pouvoir politique, d’être juge, d’être chef d’état » : c’est làune des assertions les plus répandus en terre d’islam, qui se nourrit d’une part, de la profonde ignorance des musulmans de leur histoire et de leur religion et d’autre part de la précarité socioculturelle dans laquelle se trouve la majorité des pays arabo – musulmans.

 

Que disent les textes ?

Le Coran :

Tout d’abord et disons le d’emblée, le Coran en tant que texte sacré  et référentiel primordial en islam, n’aborde nulle part, la question d’un modèle de gouvernance politique bien défini. 

Aucun système politique clairement décrit n’est donc prescrit par le Coran et il n’y a pas de lois ou de commandements  qui définissent de façon explicite un mode d’organisation politique à proprement dit.

Cependant, le Coran contient des principes directeurs qui peuvent orienter la gestion du politique au sein de la communauté tel que le principe de la Choura ou consultation et celui de la Tâa ou respect  dû  aux représentants élus du peuple (aouli el mar minkoum). Ces principes sont définis dans le cadre d’une éthique globale et la manière dont ils doivent être appliqués dans la réalité n’est pas spécifiée par le texte coranique.

Néanmoins, le Coran est catégorique quant à sa récusation de toutes les formes de tyrannie politique, encore appelé  - Ataghout – et  les gouvernants injustes – Adalimoune – sont dénoncés fermement et rejetés de façon formelle. 

Le texte coranique s’oppose  aussi à tous les souverains despotes à l’instar de César et de Pharaon qui incarnent les valeurs avilissantes de la corruption et de l’asservissement sur terre.

On retrouve aussi dans le Coran des principes qui indiquent clairement que des principes comme l’exigence de  justice – el Adl- , l’équité – el Quist- et la protection des opprimés – el moustadaafoune – , sont des valeurs morales indispensables au sein de toute gouvernance politique .

Le Coran pose donc les bases éthiques de la gouvernance  et de la participation politique sans pour autant définir une organisation politique donnée. Il fournit des règles morales qui guident  les croyants et croyantes, en tout temps et dans tout contexte, dans l’exercice du pouvoir politique.  Le Coran régit le politique, non pas par une législation mais par un code moral qui correspondrait dans le jargon de notre monde contemporain à la « moralisation » de la vie politique. Le Coran précise en effet dans plusieurs versets que ceux qui détiennent le pouvoir doivent l’exercer dans la justice et l’équité les plus absolues[1]

Les orientations coraniques concernant les modalités de la représentation ou de l’exercice du pouvoir politique ne spécifient nullement et à aucun passage du texte sacré qu’il devrait s’agir exclusivement d’hommes et que les femmes devraient  être exclues de l’action politique . Bien au contraire, le Coran utilise un langage  commun  par l’intermédiaire duquel les deux sexes sont interpellés de façon analogue et sans aucune distinction.

Pratiquement tous les versets du Coran exhortent femmes et hommes, croyants et croyantes, parfois selon  des termes récurrents qui transcendent le genre comme : « ô vous les gens » (ayuha ennass) ou « ô vous ceux qui croyez » (ya ayuha eladina amanou) tandis que d’autres versets interpellent femmes et hommes (al mouaminine wal mouaminate) afin de bien préciser que l'appel est dirigé aux deux sexes de façon égale.

C’est ainsi que l’on peut mettre en évidence de nombreux concepts coraniques qui orientent la pratique politique autrement dit la gestion des affaires publiques au sein de la communauté et qui incitent hommes et femmes à prendre part dans l’édification sociopolitique de la cité. Cependant, ces concepts coraniques qui sont tout à fait clairs par rapport à leur exhortation des hommes et des femmes à la participation politique collective  vont être, petit à petit et le long de l’histoire islamique, dévoyés et  comble du paradoxe ,  utilisés afin de justifier l'inaptitude des femmes à s’engager dans le politique.

Il est évident que  l’on doit garder en tête le fait que le Coran est un texte révélé il y a 14 siècles et que les injonctions coraniques en faveur de la participation sociopolitique des femmes, ont eu du mal à être acceptées dans le milieu tribal de la péninsule arabique qui était fortement imprégné par des valeurs  patriarcales comme l’honneur et le butin – valeurs essentiellement  masculines -  et où les femmes représentaient la minorité la plus vulnérable.

 

Bilquiss la reine du Coran :

Bilquiss la reine de Saba est souvent utilisée par ceux qui approuvent  la participation politique des femmes, comme étant un exemple édifiant de la possibilité de la femme en islam d’accéder aux plus hautes sphères de la gouvernance politique.

En effet, cette femme est décrite dans le Coran comme une véritable souveraine démocrate et très soucieuse des règles de la concertation politique avec les représentants  de son peuple[2]. Le Coran, à travers plusieurs versets, dépeint la sagesse et la perspicacité de cette femme et l’érige comme un modèle de dirigeante politique juste, habile et éclairée. Un des commentateurs musulmans classiques l’a désigne comme étant « une reine intelligente et judicieuse »[3].

En effet, c’est elle que le Coran fait parler dans le verset qui critique le despotisme des souverains :  « Quand les rois pénètrent dans une cité, ils la pervertissent  et rendent ses nobles habitants les plus misérables des êtres et C’est ainsi qu’habituellement ils se comportent » .  C’est donc Bilquiss qui parle dans ce verset mais la dernière phrase de ce verset « C’est ainsi qu’habituellement ils se comportent » est une réponse qui émane de Dieu, selon les commentaires de Ibn Abass considéré comme l’un des plus grands exégètes du Coran[4]. Une réponse qui va dans le sens de la critique de cette reine et que Dieu semble totalement approuver. 

Il est à noter qu’à ce stade et selon le récit du Coran, Bilquiss et à l’instar de tout son peuple, adorait le soleil et se prosternait devant lui mais sa remarque a été approuvé par Dieu lui même qui répond en l’entérinant de manière incontestable. La remarque de Bilquiss à propos des rois est une marque de sagesse et le Coran démontre ici qu’il faut accepter et partager toutes les sagesses universelles quelque soient leurs origines.

Le Coran confirme donc son refus des autocraties despotiques puisqu’il adhère complètement à l'allégation de Bilquiss et en même temps il incite à l’acceptation des valeurs universelles partagées comme des dons de l’humanité. La remarque de Bilquiss a été acceptée par Dieu comme étant une vérité universelle et le polythéisme de cette reine n’a pas été une entrave à la diffusion et à la transmission de cette vérité à toute l’humanité par le biais du Coran, livre sacré monothéiste[5].

C’est à travers ces petits détails subtils mais ô combien parlants que nous découvrons l’infinitude de la sagesse divine  qui n’a eu de cesse d’éduquer les croyants et croyantes à s’ouvrir aux autres, à respecter et vivre la diversité comme don du Créateur et surtout à se réapproprier le savoir, la vérité, la vertu, là ou elle est et d’où elle provient, comme droit de tout être humain. Le prophète de l’islam n’avait il pas affirmé que « la sagesse est le bien perdu (el hikmatou dalatou el mouamine) de tout être croyant et que là où elle se trouve il y a droit plus que quiconque ».

Cette remarque est importante à faire puisque de nombreux savants musulmans – aussi bien classiques que contemporains – refusent de considérer Bilquiss comme un exemple à suivre et la considère comme appartenant aux peuple infidèles et en déduisent ainsi le fait que l’on ne saurait utiliser son récit dans le Coran comme preuve de la validité de l’accès des femmes musulmanes aux plus hautes fonctions politiques.

Un certain nombre d’exégètes, notamment classiques, dénigre ainsi son apport et semble refuser de voir la sensibilité, la beauté et l’intense générosité que le Coran déploie pour décrire cette reine décidemment pas comme les autres. Alors que le Coran en fait un portrait très élogieux,  loue ses qualités de souveraine sage et pacifiste et souscris à ses remarques par rapport aux despotismes de certains rois, la majorité des savant musulmans refuseront de prendre l’exemple de cette reine comme un argument en faveur de la possibilité pour les femmes d’être chefs d’états. Pour ces savants, Bilquiss était « mécréante » et  les femmes musulmanes croyantes ne devraient pas s’identifier à ce genre de personnages « infidèles » et bien qu’elle soit citée dans le Coran, elle ne peut être digne d’exemplarité.

Or ceci est en contradiction, d’abord avec les versets coraniques qui  décrivent  la sagesse historique de cette femme chef d’état mais aussi  avec le contenu de tous les autres  versets coraniques qui retracent l’histoire des  héros des peuples prédécesseurs et qui tentent, à travers leurs récits, de les ériger en exemples vivants pour l’éternité. Le Coran ne dit –il pas :  « Dans leurs récitsil y a certes une leçon pour ceux qui sont doués d’intelligence » Coran 12- 111.

Paradoxalement, il y a lieu de noter ici que tout en refusant que Bilquiss soit un modèle de femme chef d’état, un grand nombre de savants musulmans, vont cependant recourir à certaines de ses affirmations afin de les appliquer comme bases juridiques au sein de la jurisprudence islamique ou fiqh. 

En effet,  l’exégète Ibn Achour affirme que des savants  ont déduit de la  déclaration que fait Bilquiss devant les représentants de son peuple:  « je ne prendrais aucune décision avant de connaître votre avis » Coran 27 ;32, l’obligation pour le juge musulman d’énoncer son jugement qu’en présence d’un comité d’érudits (ahl el ilm)  et qu’il était dans l’obligation de les consulter avant d’émettre ce jugement [6].

Ce qui nous mène à relever cette contradiction dans la logique des savants musulmans qui tout en refusant de considérer cette reine citée par le Coran comme modèle de dirigeante politique du fait qu’elle était « mécréante », ont toutefois déduit de ses propres commentaires un principe majeur à appliquer dans le droit musulman !

Les déductions des savants par rapport à la position politique de  Bilquiss,  en plus d’être erronées, vont à l’encontre  de l’énoncé coranique qui érige cette femme comme exemple de dirigeante on ne peut plus démocrate et qui transmet à toute l’humanité son savoir et sa sagesse, considérés par le récit coranique comme étant des valeurs universelles. 

 

 

D’autres concepts coraniques[7]

A coté de l’exemple de Bilquiss qui est on ne peut plus parlant quant à l’acceptation par le Coran d’une gouvernance politique au féminin il y a un certain nombre de concepts et principes coraniques qui vont dans le sens d’une incitation des femmes à la participation politique et sociale.

Il y a bien entendu les concepts coraniques de al- khilafah et al- wilayah qui tous deux confèrent à l’égalité dans la participation politique un sens évident et on ne peut plus clair. Les hommes et les femmes ont le devoir et l’obligation, selon le Coran, d’assumer la responsabilité de la gestion de la vie terrestre à travers la khilafah qui leur a été léguée comme un don divin. Et cette gestion se fait dans l’alliance des femmes et des hommes – al wilayah- pour le bien commun, l’intérêt général et l’instauration des valeurs de la justice et de l’égalité en droits pour tous.

On retrouve aussi dans le Coran des versets comme ceux connus sous le nom de « la scène de la Mubahala »  qui est une exhortation à la participation des femmes dans la sphère publique tandis que d’autres versets incitent les femmes à l’action politique comme ceux de la « Bayaa » ou cérémonie d’allégeance[8]. Les femmes ont été d’ailleurs très nombreuses à venir prêter allégeance au prophète considéré comme le dirigeant de la communauté musulmane de l’époque. Ce sont des actes où l’engagement des femmes a été primordial et les compilations historiques rapportent au moins cinq grands évènements de ce genre où les femmes ont massivement répondu aussi bien à l’appel coranique qu’à celui du prophète qui les encourageait à venir participer et à s’engager politiquement du coté des hommes musulmans de l’époque.

Il est malheureux cependant de constater que tout en ayant cité les nombreuses Bayaa auxquelles les femmes ont participé, les historiens musulmans n’ont pas donné de l’importance à ces évènements et on perçoit combien ces auteurs avaient de la peine à concevoir qu’il y ait eu effectivement une participation égalitaire des femmes dans le processus politique de l’époque.

Il est à noter que lors de ces cérémonies d’allégeance politique, le prophète tenait dans la plupart des cas à recevoir les femmes seules et ce pour justement bien marquer l’indépendance politique des femmes. En effet, ces dernières et compte tenu de l’environnement social de l’époque, étaient tenues de suivre leurs pères, maris ou frères et le prophète aurait pu se contenter d’ailleurs d’une allégeance déléguée à des hommes supposés être les représentants légaux de ces femmes. Mais, le prophète a tenu à les recevoir séparément afin de bien mettre en évidence cette « indépendance » des femmes dans les actes politiques majeures de l’époque et démontrer à tous ceux qui étaient  réticents à toute présence féminine – et ils étaient nombreux - que l’islam prônait désormais une nouvelle vision des femmes autrement dit celles de femmes libres, indépendantes et responsables.

L’exil politique ou « hijra » des premières musulmanes a été un autre moment fort de l’histoire de l’islam initial et nombreuses sont les femmes qui ont vécu les pires exactions du fait de leur engagement sociopolitique auprès du prophète et qui ont, par conséquence, du s’exiler afin de se protéger et de protéger leurs familles.

On retrouve dans presque tous les récits historiques islamiques une pléthore de noms de femmes qui ont tout autant participé à l’exil qu’aux cérémonies de la Bayaa mais sans que l’on assimile cette participation à un acte politique.

Alors que la participation des hommes était glorifiée et décrite comme un acte de grandeur et de courage politique, celle des femmes était au pire banalement  cité  pour l’histoire et  au mieux dépeinte comme un simple acte de piété religieuse. Tous les noms d’hommes ont été répertoriés de façon minutieuse et ont fait l’objet d’ouvrages voire d’encyclopédies où l’on décrit la participation politique de chacun dans ses moindres détails. En dehors de deux ou trois historiens qui se sont spécialisés dans la compilation des récits de femmes de l’époque, celles-ci ci n’ont jamais fait l’objet d’une telle attention et on a même le plus souvent omis de les citer par leur nom propre comme pour mieux les oublier.

C’est d’ailleurs l’exemple de cette femme anonyme, citée  dans de nombreux  récits historiques et qui lors du règne du Calife Omar interpella ce dernier en pleine mosquée, au cours de la prière du vendredi, à propos d’un problème ayant trait au « sadaq »[9]

Devant les abus notés au sein de la société de l’époque, Omar Ibn al- Khatab,  décida,  lors d’un discours dans la mosquée, d’en limiter la somme à un montant qu’il avait lui – même fixé. Une femme se leva au milieu de l’assemblée des musulmans et lui rappela le verset qui interdisait de reprendre tout bien concédé à l’épouse[10]. Elle prononça alors une phrase mémorable au plus juste des Califes : « Tu ne nous reprendras pas ce que Dieu nous a donné ! ». L’histoire ne mémorisera pas le nom de cette femme qui a  exprimé sa totale objection à la décision du Calife…Cette femme qui a  utilisé son droit à la liberté d’expression, son droit à la parole, son droit à contester la décision politique d’un Calife, n’aura pas le droit à un nom dans l’histoire !Il serait aussi utile de rappeler ici que Omar Ibn al Khatab, connu par son exigence de justice, reconnaitra son erreur et reviendra sur sa décision en affirmant devant toute l’assemblée : « cette femme a raison et Omar a tort ». 

Nous somme ici devant des témoignages de l’histoire que nous ferions bien de relire attentivement car elles en disent long sur l’étendue des métamorphoses sociales en ces premiers temps de la révélation et qui, malgré la présence encore profonde d’une culture misogyne a pu, ne serait – ce que le temps d’une époque trop courte en histoire, appliquer l’essentiel des principes coraniques dans la participation égalitaire entre hommes et femmes. Notons aussi dans ce récit, des faits qui peuvent apparaitre désuets de prime abord mais qui sont très importants quant à leur portée  symbolique comme la mosquée où s’assemblent, hommes et femmes sans aucune séparation et où l’on critique ouvertement le discours du plus haut représentant légal des musulmans ! Et comble de l’invraisemblable, c’est une femme qui ose faire cette critique ! C’est une scène qui est de l’ordre de l’impensable de nos jours, quatorze siècles plus tard dans nos mosquées et dans nos sociétés musulmanes « modernes » où il est interdit pour tout musulman qui se veut « islamiquement correct »  de débattre ou de critiquer toute « autorité » morale ou politique.

 

La tradition du prophète :

Le prophète Mohammed a sans aucun doute été l’un des plus grands défenseurs de la femme. Tous les récits de sa tradition, de sa vie et de ses actes et paroles témoignent de l'immense respect et considération qu’il vouait à toutes les femmes. Que cela soit avec ses épouses, ses filles ou les femmes en général, le prophète était toujours là pour les soutenir, les encourager, les libérer et les aimer surtout…

Dans un de ses célèbres hadiths – mais qui a souvent était mal interprété – le prophète affirmait que de ce monde, Dieu lui avait  fait aimer , de cette vie, les femmes et les parfums et que la salat (la prière)  était la prunelle de ses yeux[11]. Ce hadith a souvent été interprété par les savants musulmans,  comme un droit des hommes à gouter aux plaisirs de la vie en épousant plusieurs femmes.  Autrement dit,  une preuve en plus pour inciter les hommes à la polygamie. Ce qui a aussi  conforté  la vision orientaliste qui a vu dans ce hadith  une autre preuve de cette sensualité inhérente à un orient éternellement exotique.

Or, on remarquera que dans ce hadith le prophète mentionne les femmes en même temps que les parfums et  la prière alors que cette dernière  constitue un acte  fondamental de la pratique spirituelle de l’islam.  Le prophète aimait les femmes dans la vie terrestre - mais aussi les parfums comme symbole du bonheur de vivre -  comme il aimait la prière dans la vie spirituelle. Ce rapport subtil entre amour, bonheur et spiritualité témoigne de la façon particulière dont le prophète aimait les femmes. C’est une vision des femmes  tout a fait novatrice pour ne pas dire révolutionnaire qu’apportait le prophète au beau milieu d’une société tribale, bédouine et faudrait –il le rappeler totalement hostile aux femmes.

Alors que ces dernières étaient considérées le plus souvent comme un butin à convoiter, dévalorisées et marginalisées dans une société dont le patriarcat était des plus austères, voilà  que le prophète de l’islam leur dit qu’il les aiment comme il aime la prière et que pour lui elles incarnent la source de la vie et du bonheur sur terre!

Le prophète Mohammed n’a pas fait qu’aimer les femmes dans un sens idéaliste il a démontré qu’il les aimait  profondément en ébranlant complètement les fondations de la société misogyne de l’époque. Il a tout fait pour leur donner un statut légal de femmes indépendantes et autonomes au sein de la société islamique naissante et ce malgré les réticences voire les résistances de ses propres compagnons et des plus fidèles d’entre eux qui n’arrivaient pas à concevoir que les femmes puissent avoir des droits !

Le prophète s’est battu de façon acharnée pour que les femmes puissent choisir librement leur futur époux, qu’elles ne soient plus subordonnées aux maris, pères et frères, qu’elles puissent prendre la parole pour se défendre, s’exprimer et critiquer…Et il serait trop long de citer toutes les femmes qui ont comprit ce message de liberté, qui l’ont vécu, transmit et qui ont été les premières à s’engager du côté du prophète, de celui qui les comprenait et les aimait. Khadija, l’épouse et la compagne de la première heure, la première qui saura le protéger, l’apaiser et surtout le convaincre de l’authenticité de la révélation qu’il avait reçue…

Oum Salama qui sera sa conseillère politique lors des moments les plus difficiles, quand il se retrouvera tout seul et incompris de tous…Aisha, l’amour de sa vie, celle qui aura apprit du souffle de la prophétie ce que bon nombre de compagnons n’auront pas saisit ni assimiler, celle qui sera la gardienne de son enseignement, qui n’hésitera pas à défendre son opinion jusqu’à se retrouver en pleine bataille au désert en face de son gendre et calife Ali.

Ce sont des femmes de cette trempe là que le prophète aimait et dont il encourageait les actions. Il voulait des musulmanes, fortes, épanouies dans leur spiritualité et dans leur ardeur de vie. Il embrassait ses filles alors que la culture bédouine voyait en cela un signe de faiblesse. Il aidait ses femmes au foyer alors que l’homme arabe ressent cela comme une atteinte à sa virilité…Il rendait visite  aux anciennes amies de sa femme Khadija, visitait les femmes malades, envoyait des cadeaux et de l’aide aux veuves de sa communauté, raccompagnait celles qui avaient un long trajet à faire…C’est comme cela que le prophète de l’islam témoignait de son amour auprès des femmes.

Le prophète a puisé de toutes ses forces dans le message libérateur de l’islam pour libérer les femmes, les émanciper, les aider à sortir de leurs conditions précaires de femmes recluses. L’histoire est là pour en témoigner, les hadiths et récits de ses actes et de ses paroles sont écrits dans un nombre considérable  d’ouvrages classiques où chaque hadith est un acte de liberté et de dignité rendus aux femmes. Il serait impossible de passe en revue tous les hadiths en faveur des femmes mais à mon humble avis celui qui résume l’essentiel de la pédagogie du prophète et de ses aspirations à une société égalitaire est celui dans lequel il exprime  cette sentence : « les femmes sont les semblables (chakaikou) des hommes [12]». Le terme en arabe de (chakaikou) signifie ceux qui sont pareils,  identiques,  semblables..Il est quand même affligeant de voir qu’un tel principe qui affirme l’égalité entre hommes et femmes d’une façon tranchante  n’ait pas eu la place centrale qu’il aurait du avoir normalement  !

Ce hadith à lui seul peut amplement suffire pour confirmer l’esprit égalitaire qui animait le prophète de l’islam mais force est de constater que même ce hadith, pourtant très clair et évident,  a été l’objet d’une lecture littéraliste et minimaliste puisque la grande majorité des savants va l’interpréter comme étant certes une égalité mais une égalité sous conditions ! En d’autres termes et selon ces mêmes auteurs, les femmes sont les égales des hommes sauf dans les situations où les hommes sont « naturellement » supérieurs, comprenez : presque partout ! C’est ainsi que l’on va retrouver dans les ouvrages islamiques toutes sortes de conditions, où les hommes ont la prééminence, tel que : les postes de pouvoir politique ou juridique, l’héritage, le témoignage, l’imamat, la gestion familiale, sociale et économique. En fait et selon cette approche il n’y aurait d’égalité  que dans l’exercice du culte et les sentences divines de l’au delà et dans tout le reste la suprématie  revient aux hommes.

Ce hadith a donc été complètement vidé de son sens égalitaire et mis sous conditions afin de ne jamais laisser  l’égalité entre les hommes et les femmes prendre place comme elle aurait du le faire dans la pensée islamique depuis des siècles maintenant ! Les oulémas ne cessent de rabâcher ce hadith dès qu’on leur parle des droits de  femmes en islam mais très vite ressortent les « sacrés » conditions afin de rendre cette « égalité » caduque dans la réalité des sociétés musulmanes.

Tandis que ce hadith fondamental dans sa formulation de l’égalité va être dévoyé et complètement dévalorisé c’est un autre hadith d’importance moindre, sujet à de nombreuses controverses historiques entre les savants, qui va devenir le hadith le plus important, voire le seul hadith que l’on ressort à chaque fois qu’il est question notamment de gouvernance politique et  de femmes en islam. Il serait important d’analyser de plus près ce hadith. 

 

Le hadith de Abu Bakra[13] : 

A chaque fois qu’il est question de l’accès des femmes aux hautes fonctions politiques comme celles de chefs d’état (wilayah el kubra) ou de gouvernance politique on remarque que c’est un hadith, très célèbre et d’une très grande popularité qui revient systématiquement et qui constitue le fondement sur lequel repose tout l’argumentaire de ceux qui interdisent le pouvoir politique aux femmes. Ce hadith, transmit par Abu bakra affirme : « qu’un peuple ne pourrait réussir s’il est dirigé par une femme ». 

Il est a noter que Abu Bakra , de son vrai nom Nafii Ibn el Harith,  qui s’est converti en l’an 8 de l’hégire, a été condamné lors du Califat de Omar Ibn al Khatab pour faux témoignage et le calife dès lors n’acceptait plus aucune  de ses attestations. Abu Bakra dans les différents récits affirmait qu’il s’était rappelé de ce hadith quelques jours avant la bataille du chameau au cours de laquelle se sont affrontés deux clans musulmans, l’un conduit par Aicha épouse du prophète et deux célèbres compagnons Azzubayr et Talha alors que l’autre groupe était sous les commandes de l’imam Ali, gendre du prophète et qui exerçait en ces temps là la fonction de Calife. La bataille du chameau a eu lieu en l’an 36 de l’hégire.

Abu Bakra, devait en fait se rallier au groupe dirigé  par Aicha quand il se remémora ce hadith ce qui, toujours selon ses dires, lui fait rebrousser chemin, refusant  ainsi de rejoindre la troupe dirigée par Aicha. Abu Bakra refusa de s’allier au groupe des musulmans qui était sous la direction de Aicha non pas par désaccord politique mais parce qu’elle était femme. C’est un exemple d’interprétation de  hadith dans lequel s’imbrique le politique avec le sexisme.

Il à noter que Abu Bakra n’a révélé ce hadith que vingt huit ans après la mort du prophète à un moment délicat de l’histoire de l’islam où se profilait un nouvel ordre politique incarné par  les  ambitions hégémoniques de Muawiya et qui a conduit à l’inévitable fracture des musulmans en sunnites et chiites.

A ce moment là de nombreux savants ont refusé de prendre part à ces divergences politiques, par peur  de la « Fitna »-  ou du grand désaccord –  et par souci de préservation de la structure religieuse interne encore fragile à cette époque là.

Il est évident que ce hadith de Abu Bakra  survenu à ce moment troublant de l’histoire et dans un contexte politique des plus difficiles de l’histoire des musulmans, est un hadith à contenu fortement politisé. D’ailleurs, le narrateur de ce hadith, Abu Bakra, est connu par sa diffusion de Hadiths à contenu politique comme celui dans lequel il est dit que : « celui qui méprise le sultan de Dieu sur terre, Dieu le méprisera »[14]. Certains commentateurs diront d’ailleurs à propos de ce genre de hadiths transmit par Abu Bakra qu’ils relèvent plutôt de l’ordre de la « morale de dissuasion » (atarghib wa atarhib). Les hadiths de cette catégorie ont généralement bénéficié de l’indulgence des savants puisqu’ils ne relèvent pas de l’ordre de la législation (al Ahkam) , pour lesquels, les oulémas s’avèrent être  beaucoup plus sévères et beaucoup plus exigeants. Et c’est ce qui explique comment l’histoire a laisser passer de nombreux hadiths de la sorte, à contenu fortement politisé et qui ont fini par cautionner les pires tyrannies au nom de l’islam.

Il y a une autre contradiction à propos du hadith qui nous concerne ici  « un peuple ne pourrait réussir s’il est dirigé par une femme » et qui correspond à l’incertitude autour de son historicité. En effet,  ce hadith de Abu bakra a été et selon le narrateur, évoqué par le prophète quand on est venu lui apprendre que c’est une femme du nom de « Bouran-dokht » , la fille de Chosroes, empereur perse, qui a pris le pouvoir dans cette contrée.

Or selon certains historiens musulmans de renom tel que Attabari, AlBaladhri et Ibn Kathir, l’intronisation de cette femme en Perse a eu lieu lors du califat de Omar ibn el Khattab ce qui implique que cette femme n’a pris le pouvoir qu’après la mort du prophète[15].

Il est difficile de comprendre, devant toutes ces contradictions, comment un  hadith aussi controversé puisse garder cette importance dans l’histoire islamique et pire balayer d’un coup tous les autres arguments en faveur des femmes, notamment ceux du Coran et toute la tradition du prophète à ce propos !

Or même si à la limite on voulait passer outre toutes ces contradictions, ce  hadith à lui seul ne peut décider encore moins légiférer pour toute l’humanité concernant des questions aussi importantes et cruciales que celles ci. Et même si l’on admet aussi que cet événement a eu lieu et que le prophète eut prononcé ce hadith  il apparaît  évident que c’était le pouvoir dictatorial représenté par l’empire perse de l’époque qui était visé et non la femme en tant que femme ! Rappelons aussi que cet empire était en guerre contre les musulmans à l’époque et à supposer que ce fut le fils de l’empereur qui fut intronisé, l’attitude du prophète aurait elle changé pour autant, aurait-il approuvé le pouvoir dictatorial du fils  ??

On ne peut que se sentir désarmé devant cet acharnement à reproduire partout et à grande échelle ce genre de hadith qui en plus de ces controverses internes est enflagrante contradiction avec les fondements du coran et la pédagogie du prophète de l’islam.

Il serait intéressant de rappeler ici que quoique les anciens savants musulmans ont été majoritairement contre la participation politique des femmes, certains anciens juriste, vont néanmoins permettre aux femmes d’accéder à des hauts postes de responsabilité politique. C’est le cas de l’imam Abu Hanifa  qui considère que la femme peut être juge dans les affaires civiles, alors que Ibn Jarir Al- Tabari et Ibn Hazm, considèrent que la femme peut être juge mais aussi dirigeante politique.

On peut donc noter en conclusion que nulle part dans les textes sacrés du Coran il y aurait une quelconque interdiction pour les femmes de participer au pouvoir politique à coté des hommes et que c’est bien tout le contraire qui est prescrit par le Coran et la tradition du prophète.

Mais ce qui reste le plus douloureux dans tout cela c’est que jusqu’à présent rien n’est effectué au sein de la pensée islamique afin de rétablir cette injustice et de revenir au sens premier du message de l’islam. Ce travail de « déblayement » n’a pas encore été commencé alors qu’il est essentiel si l’on veut avancer et sortir de cette décadence civilisationnelle qui limite nos perspectives d’avenir.

Dans cet environnement où la religion – même avant l’avènement de l’islam - a toujours été une question d’hommes, les nouvelles directives du Coran, ainsi que la pratiquedu prophète très en faveur des femmes, ont été détournées par les hommes afin de garder la légitimité absolue sur  cette nouvelle religion dont l’héritage deviendra avec le temps presque exclusivement masculin.  C’est ce qui explique qu’aujourd’hui on a toutes les difficultés du monde à déconstruire cet héritage masculin qui s’est construit sur les forteresses d’une culture patriarcale des plus implacables tout en s’imbriquant  forcément à des reformulations religieuses transformées avec le temps en dogmes infaillibles.

C’est là toute l’importance de la relecture du texte coranique afin de réhabiliter la compréhension des concepts clés fournis par les sources et  de revenir ainsi au souffle premier celui qui a été enterré et enfouie dans les bas fonds d’une compilation savante surannée et exclusivement masculine.

 

 

 



[1] Versets 4 ;58 et 16 ;90.

[2] Coran 27 ; 23-44

[3] Sayd Qotb, Tafssir « fidilal al quran ».

[4] Dans Tafssir al- Qortobi 13- 195.

[5] Le Savant Mohammed Amine Chenguiti affirme : « Dieu a légitimé l’affirmation de Bilquiss et son incroyance n’a pas été un justificatif pour refuser ce qu’elle a déclaré comme vérité » :Adouaa el bayané, tafssir elquoran bil quoran 5 /1. 

[6] Ibn Achour, Atahrir wa tanouir, V10, p 278.

[7] Voir plus de détails dans notre ouvrage : « Le Coran et les femmes : une lecture de libération », Editions Tawhid 2007.

[8]  Moubahala : Coran 3 ;61 , Bayaa : Coran 60 ;12.

[9] Le « Sadaq » est souvent traduit en « dot » , mais dans la conception islamique il diffère du sens conféré à la dot, en effet, il s’agit en islam, d’un droit de la femme, une obligation instaurée par le Coran vis à vis de l’époux à qui il incombe de donner un montant à son épouse comme présent offert pour le mariage en gage d’entente et d’amour . Il est aussi appelé nihlah ou beau cadeau. Le Coran insiste sur la symbolique de ce gage plutôt que sur sa nature matériel , d’ailleurs aucun montant n’est fixé et tout dépend de l’accord passé entre les époux mais aussi des conditions de l’époux et du lieu et de l’époque.

[10] Coran 4 ;21.

[11] Rapporté par Anissaii.

[12] Rapporté par l’imam Ahmed.

[13] Hadith rapporté par Bukhari, Thirmidi, Nissaii et Imam Ahmed

[14] Rapporté par Muslim.

[15] Voir toute la discussion sur le contenu historique de ce hadith et les profondes contradictions et divergences entre les Oulémas dans une analyse faite par l’intellectuel marocain Abed Al jabri dans :www.aljabriabed.net /wilayatalmaraa.htm

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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