Asma LAMRABET

islam et femmes: l'éternel débat

Il est évident que la thématique des « femmes et islam » est devenue une thématique centrale dans les débats contemporains. De ce fait, il devient difficile d’en faire une approche objective puisque cette thématique reste trop souvent perçue à travers un double prisme: celui de l’actualité médiatique - avec son corollaire de stéréotypes et d’islamophobie -   et celui de l’idéologie politique des sociétés majoritairement musulmanes.

 

Tout se passe comme si, conjonctures politiques internationales aidant,  l’islam est devenu La Religion de l’oppression des femmes par excellence, ce qui a pour effet d’atténuer voire de complètement évacuer la  culture de discrimination propre aux autres sociétés, traditions ou religions.

 

Il y a donc un acharnement dramatique à vouloir faire des femmes musulmanes - toutes les femmes musulmanes - les principales victimes, d’un Islam forcément tyrannique, inégalitaire et aux relents barbares que seules les voies d’une émancipation occidentale idéalisée et universalisée à outrance, sont à même de libérer.

 

Cette nécessité symbolique de « libération » des femmes musulmanes, induite par un ethnocentrisme intellectuel profondément ancré dans une certaine idéologie occidentale fait donc toujours partie  des préalables requis du discours politiquement correct. « Libérer les pauvres femmes musulmanes victimes de l’islam » est une formule politique qui se « vend » donc toujours  très bien et qui témoigne, tant que faire se peut, d’une indubitable appartenance au monde  « civilisé » ;  celui - là même qui délimite les frontières culturelles du « Eux » et « Nous ».

 

Or, il serait peut être utile de rappeler ici, deux évidences. La première concerne l’extrême diversité des femmes musulmanes. Il y a autant de sociétés musulmanes différentes, que de modèles de femmes musulmanes, qui,  de l’Indonésie au Maroc, en passant par l’Arabie saoudite ou l’Europe centrale et l’Afrique subsaharienne, sont, représentantes d’une hétérogénéité socioculturelle importante.

 

 

La seconde évidence à rappeler et que l’on oublie trop souvent est celle de « l’universalité » de la culture de discrimination envers les femmes.  L’inégalité des droits entre femmes et hommes a été la règle pendant des millénaires et,  malgré des acquis incontestables,  la situation subalterne des femmes est un phénomène qui perdure aujourd’hui et transcende, à des degrés variables,  toutes les cultures et toutes les civilisations.

 

Dans notre monde post moderne et hypermondialisé, c’est l’imbrication du patriarcat et de l’ultralibéralisme qui induit de nouvelles formes d’exploitation et de domination des femmes et ces dernières   aussi bien au Sud qu’au Nord, se retrouvent dans les mêmes situations de précarité « mondialisée ». Aujourd’hui, il faudrait savoir reconnaître, malgré des avancées certaines, que l’égalité, ce principe fondateur des systèmes démocratiques universalistes, reste l’une des promesses les plus inaccomplies de la modernité[1].

 

 

Ceci dit, il ne s’agit pas ici de refuser toute critique portant sur la réelle discrimination dont sont sujettes les femmes musulmanes, notamment quand elle vient de l’Occident, comme le fait un certain discours islamique complètement obnubilé par un « fantasmatique complot occidental » contre l’islam. Ce qui doit être refusé, ce n’est pas tant la critique, qui peut être juste, mais  le fait que cette critique n’est généralement dirigé que contre l’islam en particulier ce qui tourne à la véritable dérive obsessionnelle.

 

Les femmes musulmanes à l’instar des autres femmes dans le monde,  vivent, selon le degré de développement de leurs sociétés respectives, leurs lots de discriminations, comme partout ailleurs. Et il reste malheureusement triste de constater, effectivement, la présence d’une « donnée religieuse » commune qui est à l’origine d’une culture de discrimination réelle envers les femmes musulmanes.

 

Or et on ne le dira jamais assez, ce n’est pas l’islam en tant que message spirituel qui opprime les femmes mais bien les différentes interprétations et dispositions juridiques entérinées depuis des siècles par des idéologies savantes, qui faute d’avoir été réformées, ont fini par supplanter le texte sacré et se transformer en des lois religieuses immuables.

 

 

Il faudrait aussi noter que, au-delà, d’une rhétorique occidentale, qui frise parfois l’indécence et dont l’objectif  est loin d’être innocent,  cette question des femmes - avec ses dérivés de droits juridiques  comme l’égalité hommes femmes - touche d’abord à  l’un des problèmes majeurs des sociétés arabo-musulmanes, à savoir celui de  l’absence d’un véritable espace de liberté démocratique.

 

Débattre et promouvoir la question de  l’égalité des droits entre femmes et hommes au sein d’une société c’est promouvoir et accepter les fondements de la démocratisation politique et  c’est bien,  sur ce déficit en démocratie que se cristallisent les échecs de la grande majorité des réformes entreprises depuis bien longtemps au sein du monde arabo – musulman.

 

Dans la plupart des sociétés musulmanes - et de façon caricaturale - le débat oscille entre deux discours qui convergent sur le fond. L’un, officiel, légitimant   une politique de  tolérance  et d’action « minimaliste » envers les femmes comme une caution de sa politique de modernisation tout en pérennisant sur le fond une lecture religieuse rigoriste, tandis que l’autre, représentatif d’une réalité collective musulmane, érige le « statu quo »  sur la question des femmes dans les débats sur la religion, comme un étendard de sa résistance culturelle à l’occidentalisation[2].

 

C’est que la notion d’égalité entre hommes et femmes dans le monde musulman reste toujours perçue comme étant une donnée complètement  étrangère à la tradition islamique et imposée par un Occident structurellement hégémonique[3] !

 

Or et c’est bien là que le bât blesse , l’égalité entre hommes et femmes est un principe fondamental du message spirituel de l’islam et ce sont les lectures culturalistes accumulées avec le temps qui ont finit par forger cette dimension inégalitaire présupposée islamique.

 

Les dynamiques de changement vécues actuellement dans une grande partie des pays arabo - musulmans confirment le fait que le réformisme musulman ne peut avancer sans l’instauration de véritables espaces de liberté. La question des réformes religieuses, notamment celles concernant la thématique des femmes, reste fortement liée à l’exercice d’un véritable pouvoir démocratique qui respecterait tous ses citoyens, les femmes comme les hommes. Cela en soi rejoint les grandes finalités de la spiritualité musulmane dont les principes comme la raison (el a’ql), la justice (el adl) et la liberté (man châa fal you’mine wa man chaa fal yakfour) constituent le socle du message coranique.

C’est en travaillant sur ces deux volets, démocratie et réformisme religieux, que les transformations socioculturelles peuvent avoir des chances de véritablement se concrétiser dans la réalité du terrain et notamment,  aujourd’hui plus qu’hier, dans le contexte des révolutions arabes.

 

C’est à cette condition que l’on pourra  enfin sortir de cet eternel débat sur femmes et islam…

 

 

[1] Les statistiques  sur les femmes dans le monde sont alarmantes : 100 millions de femmes manquantes en Asie, la traite des blanches au cœur de l’Europe, le phénomène de la violence contre les femmes : voir le rapport d’Amnesty International ; sur notre planète  au moins 20% des femmes sont victimes de viols ou de mauvais traitements ; in www.aidh.org/Femme/sit_amnesty01.htm

[2] C’est l’exemple du code du statut de la famille au Maroc qui a certes engendré une avancée certaine au niveau des lois mais qui n’a pas pu faire ancrer dans les mentalités l’importance et l’exigence de justice et d’égalité au sein du couple du fait que les réformes nécessaires éducationnelles, religieuses, en amont  n’ont pas été inscrites comme préalable requis.

[3] Preuve en est la récente déclaration du président du CNT Lybien qui annonce , au lendemain de la chute du régime de Kadhafi,  l’instauration de la Charia et la polygamie pour prouver notamment son « indépendance » envers l’Occident qui a soutenu la révolution en Lybie !

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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