Asma LAMRABET

L’éthique coranique de l’union conjugale : Partie I : le concept d’al « Mâarouf » ou « bien commun »

 

L’éthique coranique de l’union conjugale :

Partie I : le concept d’al « Mâarouf » ou  « bien commun »

Asma Lamrabet

Octobre 2013

 

Le concept d’al « Mâarouf » ou « Bien commun » représente l’un  des principes fondamentaux de la relation conjugale tel qu’énoncé dans le verset coranique suivant : « Maintenez avec vos épouses des rapports qui soient fondés sur le « bien commun » (Mâarouf) (achirouhouna bil maarouf)   » Coran : 4 ;19

 

Ce concept de  Mâarouf   est  retrouvé  plus de vingt fois dans le Coran. Il est souvent défini comme étant le Bien, le convenable, ce qui est moralement acceptable par tous et qui dans une société donnée correspondrait à un ensemble de valeurs autour desquelles les individus se seraient plus ou moins mis d’accord.

 

Cela correspond aussi à tout ce que l’on peut reconnaître comme étant source de bienfaits pour les êtres humains  et ce terme désigne aussi tout ce que la raison reconnaît comme étant juste et  dans l’intérêt de tous.

 

Ce concept de Mâarouf paraît être très proche, voire équivalent, de celui du « Bien commun » ou « bonum commune »  concept traditionnel, aux racines antiques (Platon et Aristote)  et médiévales (Thomas d’Aquin). Il a été en général compris comme étant l’expression d’un intérêt supérieur de caractère à la fois rationnel et divin[1].

 

Ce concept,  utilisé dans ce verset semble résumer à lui seul l’ensemble de l’éthique coranique des relations conjugales. Ibn Kathir dans son exégèse classique interprète cette notion comme un ensemble de comportements que les hommes se doivent d’adopter envers leurs épouses. Il cite ainsi parmi les attitudes qui font partie du Mâarouf et que doit avoir l’époux, celui d’être agréable, bon, d’avoir des propos aimables envers son épouse et de soigner aussi son comportement physique et vestimentaire. Il précise que comme les hommes sont exigeants envers leurs épouses et apprécient de les voir belles pour eux, il en va de même pour les époux, qui doivent soigner leurs apparences et se faire beaux pour elles[2].  Il cite un autre verset coranique « Elles ont des droits équivalents à leurs obligations » Coran 2,228. 

 

Ibn Abass, qui est considéré comme le premier commentateur du Coran,  a interprété  ce verset en faisant cette remarque :  « j’aime me faire beau pour mon épouse comme j’aime qu’elle se fasse belle pour moi »[3]. La beauté ici n’est pas à prendre uniquement dans le sens de l’apparence physique mais aussi dans le comportement moral et le « bel agir » mutuel.

 

Dans les différents textes d’exégèse classique concernant ce verset et le concept du Mâarouf, on retrouve des citations du prophète ainsi que de longs récits sur son comportement exemplaire envers ses épouses. L’un de ses plus importants hadiths est celui où il affirme que « les meilleurs d’entre vous sont les meilleurs envers leur épouse »[4]. Et certes le prophète était le meilleur des époux, le plus galant, le plus doux et le plus attentionné. Il n’a même jamais de sa vie haussé le ton envers l’une de ses épouses, malgré les difficultés de l’époque, et les épreuves qu’il a enduré comme Messager. Il n’oubliait jamais son humanité et son rôle d’époux, en essayant de faire régner dans son foyer une douce ambiance de bonheur. Un bonheur simple, fait de petites joies, de petits gestes délicats et de paroles agréables, mais qui en dit long sur cette sérénité familiale à laquelle le prophète  aspirait en tant qu’être humain avant tout…

 

C’est ainsi que le Coran édictait les grandes lignés de l’union conjugale en instaurant de prime abord un fondement incontournable sur lequel doit être bâti la vie à deux. Ce fondement est symbolisé par ce principe coranique de Mâarouf, qui revient plusieurs fois dans la parole divine, comme un rappel, sans cesse réitéré, pour les hommes. Ce « Bien commun » est indispensable à cette union à deux puisque à l’instar de la fondation d’une bâtisse s’il est bien construit et bien enraciné, le reste de l’édifice tiendra bon, malgré les aléas de la vie.

 

C’est dans ce sens que le prophète dans son dernier sermon – khotbatou hajat al ouadaa-  n’a eu de cesse de rappeler aux hommes  ce principe coranique : « Je vous recommande  de prendre soin de vos épouses »[5]. Le prophète l’a répété trois fois de suite comme s’il appréhendait l’avenir, comme s’il savait au plus profond de lui que ce serait là, l’un des principes islamiques que les musulmans auront le plus de mal à comprendre, à suivre et  à  accomplir …Ce qui s’est avéré complètement vrai…Cela me rappelle ce qu’a écrit dernièrement une universitaire égyptienne dans un article qu’elle a intitulé : « Ô prophète de l’islam, ils n’ont pas pris soin de nous malgré tes recommandations ! » [6].

 

Et il est, effectivement,  triste de voir que de telles valeurs islamiques comme celle du Mâarouf, ne soient pas reflétées dans la vie des musulmans, qui comble de l’ironie, lisent, apprennent, écoutent, les paroles divines à travers les psalmodies du Coran, parfois même à longueur de journées, sans donner de l’importance à ce que ces mêmes paroles véhiculent comme principes et valeurs morales essentielles dans la vie de tous les jours…On a même l’impression que la réalité de certaines sociétés et communautés musulmanes est en contradiction parfois profonde avec toutes ses valeurs… 

 

Au sein donc de l’éthique conjugale coranique il y a  ce concept de Mâarouf à partir duquel doivent s’édifier tous les rapports de bonne convenance entre l’homme et la femme. Et à partir de ce Mâarouf, nous aurons, comme le souligne le Coran une série de normes relatives à l’union conjugale et qui ensemble, forment la trame profonde de la relation conjugale en islam.

 




[1] Bien commun, conflits d’intérêts et délibération éthique : Denis Muller, septembre 2004, www.contrepointphilosophique.ch

[2] Tafssir Ibn Kathir.

[3] Hadith d’Ibn Abass dans tafssir Ibn Kathir du verset 2 ;228.

[4] Hadith cité par Ibn Kathir.

[5] Hadith dans Tafssir Ibn Kathir du verset 4 ;19.

[6] Héba Izaat Raouf dans :www.islamonline.net « lam ystawsou binissaa khairan ya rassoulAllah ». 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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