Asma LAMRABET

La cosmovision coranique du Monde

Certes, il y a dans la création des cieux et de la terre, dans la succession de la nuit et du jour, dans le navire qui vogue en mer au bénéfice des gens, dans l’eau que Dieu a fait descendre du ciel par laquelle il redonne vie à la terre après sa mort et y propage des cheptels de toute espèce et dans la variation des vents et des nuages qui sont guidés entre le ciel et la terre, en tout cela il y a des signes (ayat) pour des peuples qui raisonnent.  (Coran al-Baqarah ; 164)

 

Ce verset résume la cosmovision coranique du monde weltanschauung et nous brosse un tableau haut en couleur de la création divine. Il nous invite non pas à une béatitude abstraite mais à réfléchir profondément sur la beauté et l’infiniment grand de la nature et du cosmos. Il invite à méditer sur la création des cieux, de la terre et de la mer qui transporte les bienfaits aux gens. A méditer sur l’eau de la pluie qui fait renaître une terre morte afin qu’elle renaisse comme une source nourricière pour toute sorte d’élevage et à l’union des vents et des nuages qui évolue selon un ordre à la fois céleste et terrestre.

 

C’est donc là une subtile invitation à la lecture de ce livre ouvert (alkitab almandhour) sur les merveilles inespérées de la création divine sur terre. Devant cette symphonie de la création il y a des allégories qui interpellent à la fois notre raison et notre conscience humaine, celles d’êtres doués de raison (‘aql) et d’intelligence ouli albab  ( al-‘Imran ; 190).

 

Nous retrouvons donc ici une incitation à discerner, à reconnaître et valoriser l’incommensurabilité de la création divine afin de mieux glorifier et vénérer le Créateur à l’instar de la nature qui, sur terre et dans les cieux, célèbre (yusabihna) inlassablement Celui qui leur a donné Vie. Le chant d’un oiseau, le bruissement d’une feuille qui tombe, le souffle du vent, le son de la pluie…Ce ne ne sont là que les multiples expressions d’une nature qui célèbre le divin selon son propre langage et que peu d’êtres humains sont capables de saisir et de comprendre. « Et il n’existe rien qui ne célèbre Sa gloire et Ses louanges mais vous ne comprenez pas leur façon de Le glorifier » (al-Isra’;44)

 

Ce rappel à réfléchir et à méditer sur l’immensément grand et beau de la création divine nous enjoint à accéder à la station spirituelle de l’humilité et de la déférence maqam a- tawadu’ wa al- khushu’. La condition innée de l’être humain est d’être humble devant ce Tout divin dont lui même fait partie.

 

Le rappel divin relatif à cette extraordinaire nature avec sa diversité et sa richesse florissante n’est pas seulement une invitation à sa contemplation béate, il nous renvoie aussi à notre responsabilité d’êtres humains. L’implication de l’être humain dans la création est soulignée dans plusieurs passages coraniques comme celui-ci : « Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes d’assumer le dépôt amana. Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur et c’est l’homme qui s’en est chargé et il est injuste et ignorant » (al-Ahzab; 72). Ce dépôt (amana) qui est une responsabilité (taklif) du Savoir (ma’rifa) que Dieu a proposé à la nature a été refusé par cette dernière par humilité et c’est l’être humain qui l’a assumé avec beaucoup d’arrogance et de suffisance.

 

Dieu nous a légué cette responsabilité universelle dans le but de préserver justement l’harmonie de la création, de protéger les animaux, d’enrichir la terre, de l’aimer pour ses bienfaits puisque c’est d’elle que nous venons et c’est vers elle que nous retournons. Toute la création est liée et tissée selon une trame divine qui unit intimement et réciproquement la terre et toute la création à l’être humain. Et rompre ce lien, c’est rompre à la fois l’ordre naturel du monde et celui de l’équilibre de la création, ce qui revient à provoquer la décadence et le chaos (fasad) sur terre.  Et Dieu abhorre ceux qui sèment désordre et corruption sur terre : « Il parcourt la terre pour y semer le désordre et saccager culture et bétails et Dieu n’aime pas le chaos (fasad) » (al-Baqarah ;205) .

 

Notre monde est un Tout dans lequel la nature et l’être humain sont intimement connectés ce qui rend notre destin inéluctablement commun et indissociable. Préserver notre planète c’est nous préserver nous-mêmes. C’est à quoi nous invite ce verset, à prendre conscience spirituellement de ce lien profond et  perpétuel entre la terre et l’humain dont dépend notre viabilité sur terre. Il s’agit donc d’un lien qui est de l’ordre du sacré et sa préservation est incontestablement un acte d’adoration qui relève de l’obligation morale de tout être humain sur terre.

 Asma Lamrabet

Aout 2023

Extrait de l'ouvrage collectif : "30 Jours avec le Coran; 3 voix , 3 femmes" Asma Lamrabet,Nayla Tabbara,Jaratullah Monturiol, Février 2023, Editions al-Bouraq,Paris

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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