Asma LAMRABET

La femme musulmane et la laïcité : Les fondements d’une identité commune …

Dans le débat interminable qui oppose deux concepts apparemment antinomiques comme le sont l’Islam et la laïcité on remarquera inlassablement que c’est souvent la question de la femme musulmane qui resurgit comme un épouvantail qu’on brandit de part et d’autre … C’est bien donc autour de cette question de la femme musulmane et de son identité que semble se jouer une grande partie de l’avenir de ce « vivre ensemble » et ce aussi bien dans la société occidentale qu’à l’intérieur des communautés musulmanes…La question du voile islamique en France avec la loi sur l’interdiction des signes religieux et toute la névrose intellectuelle qu’elle a engendré en est la preuve irréfutable et prouve encore une fois que l’on est
malheureusement devant un bel exemple de débat où la stigmatisation de l’autre d’une part et le passionnel et la réaction identitaire d’autre part font l’impasse sur les vrais questions de fond. 

L’islam serait apparemment incompatible avec la laïcité suivant cette logique binaire très à la mode qui n’en finit pas d’opposer toutes les valeurs de la modernité avec l’islam : La démocratie, les droits de l’homme, la liberté d’expression…le statut de la femme…Ce sont autant de concepts qu’on soulève dès lors que l’on veut analyser un fait ou évènement ayant un
lien avec l’islam…Ces formulations sont parmi les mieux reçues et les plus enracinées dans l’opinion publique contemporaine. Tous ces jugements rabachés matin et soir finissent par s’imposer comme étant la norme et la référence.

Il est évident que le discours qui fait recette aujourd’hui est bien celui qui stigmatise l’Autre du seul fait de sa différence. La femme musulmane semble justement incarner cet Autre et va se retrouver malgré elle au centre de cette controverse car elle a finit par symboliser toutes les peurs : peur de l’étranger, du musulman, de l’islam …Du fait d’une médiatisation
forcenée on a réduit l’image de la femme musulmane à celle d’une femme victime malgré elle ; victime de toutes les oppressions…A travers elle on perçoit l’oppression de l’homme arabe ou musulman, des lois intransigeantes de la Sharia ; des lois tribales et barbares ; en somme de cet islam totalitaire, machiste et tyrannique…Les médias toutes tendance confondus vont jouer un rôle aussi grave que pernicieux dans l’élaboration de cette image réductrice et avilissante de la femme musulmane.

On fera souvent la Une de l’évènement politique en terre d’islam et ce quelque soit le thème, acte terroriste inclus, avec l’image d’une musulmane, voilée de noire de préférence ; c’est que le binôme est explosif ! : Femme musulmane et terrorisme islamique. La construction de cette image stéréotypée des musulmans est un véritable parti pris puisqu’on associe violence et islam, images misérabilistes et négatives des sociétés islamiques afin d’imposer un véritable totalitarisme de la pensée qui prône l’incompatibilité profonde de l’islam avec toutes les composantes de la modernité… On instrumentalisera à outrance ces représentations symboliques et connaissant l’influence et l’ascendant sournois des images télévisées et des grands reportages sur le subconscient humain on comprendra volontiers leurs impact démesurément assimilé dans l’imaginaire collectif occidental non musulman déjà
sensibilisé par un système éducatif qui a minimisé voire exclut de ses programmes toute connaissance du monde musulman.

L’occidental non musulman devant ce matraquage médiatique permanent encore appelé
Métadiscours sur l’islam va finir par identifier l’islam et toutes ses
composantes comme une réelle menace contre la culture- sa cultureoccidentale.
D’autant plus qu’il aura devant lui de nombreuses preuves dans
le vécu de certains musulmans mais aussi dans le constat édifiant d’une
« culture d’échec » ou du « retard civilisationnel patent » qui régit
apparemment la plupart des pays musulmans.
Parallèlement à cela, cette mise en accusation permanente de l’islam fait que
les musulmans et les musulmanes se replient de façon systématique sur leur
identité religieuse perçue alors comme le dernier rempart affectif contre une
agression culturelle qui les dépasse et une civilisation étrangère hostile qui
prend d’ailleurs bien soin de bien démarquer les frontières de son hospitalité
culturelle. Cette « hostilité occidentale » pour l’islam finit par intensifier
l’attachement à l’islam non pas comme source spirituelle mais plutôt
comme une forteresse identitaire. Les pressions psychologiques engendrées
par les conflits internationaux confortent de leur coté chez les musulmans le
fait que la civilisation occidentale est essentiellement à l’opposé de leur
vision et conception de l’islam.
Le débat on le voir est très difficile si on prend le risque de l’appréhender à
partir de ces deux perceptions apparemment antagonistes. Or tout serait
plus facile si des deux cotés on prenait la peine de s’arrêter un moment afin
de réapprendre à connaître l’autre, à partir de son imaginaire, de son histoire
et de ses références…Car si l’on devait revenir à la définition de la laïcité
dans sa terminologie historique et dans sa vision globale c'est-à-dire celle
qui stipule la séparation de l’état et du religieux dans la perspective d’une
neutralité du politique et de la garantie apportée par les pouvoirs publics à
toutes les confessions religieuses, on est en droit de se poser cette question
apparemment très naïve : Mais où est donc le problème ? Quand on sait
aussi que la laïcité repose sur des valeurs indissociables tels que la liberté de
conscience, l’égalité en droits des opinions spirituelles et religieuses et la
neutralité du pouvoir public…On est en droit d’imaginer un islam
apparemment très à l’aise dans la laïcité. Quand on sait aussi que la
déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 stipule entre autres la
liberté de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion
individuellement ou collectivement en public ou en privé par le culte,
l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites… On est en
droit de se demander pourquoi les musulmans ont du mal à s’intégrer dans
les sociétés laïques et expriment un désarroi certain quant à leur manière de
s’adapter à l’intérieur de ces dites sociétés…
Les réponses à toutes ces questions peuvent être diverses et complexes
surtout pour quelqu’un qui comme moi ne vit pas concrètement cette réalité
quotidienne. Cependant, je prendrais le risque de l’analyser à partir de notre
expérience de musulmans vivant dans un pays où la religion d’état est
l’islam et où le vécu des musulmans oscille entre des aspects extérieurs de
l’ordre de « l’islamiquement correct » et une laïcité à géométrie variable qui
ne dit pas son nom …Le tout noyé dans une double culture arabooccidentale,
héritage d’une histoire de colonisation et surtout de
décolonisation avec toute sa part de déchirures identitaires et d’aliénations
frisant l’indécence …
Perçus à partir de ce contexte historique et géographique, les occidentaux
donneraient l’impression de vivre ou de vouloir vivre la laïcité autrement
que celle connue théoriquement, autrement dit comme une laïcité
d’exclusion . L’espace de neutralité et de garantie proposé en théorie aux
différentes confessions est devenue un espace de refus de toute expression
spirituelle laissant place à un athéisme militant exclusif…C’est comme si
l’on assisterait à un revirement dans l’idée de la laïcité celle-ci s’érigeant
comme une conception autoritaire de l’espace public qu’elle revendique
dorénavant areligieux. Ce qui expliquerait en partie- et en partie
uniquement- la réticence voire le refus de certains musulmans d’adhérer au
principe de la laïcité telle qu’il est perçut dans leur quotidien en occident.
Cependant, force est de constater que les musulmans quant à eux ne font pas
apparemment beaucoup d’effort pour comprendre d’abord le contexte
historique de cette laïcité et les dynamiques socioculturelles qui ont fait que
celle-ci soit un principe voire un pilier incontournable des démocraties
occidentales. Il est vrai que l’histoire de la laïcité est une histoire
occidentale, l’histoire d’une lutte légitime et ardue contre les institutions
cléricales despotiques de l’époque, mais il n’en reste pas moins que la laïcité
telle qu’elle a été conçue reste garante des libertés religieuses et privilégie
dans sa philosophie le respect de toutes les religions… C’est ainsi que les
musulmans doivent concevoir la laïcité non pas comme un système qui
s’oppose aux religions en général et à l’islam en particulier mais qui
s’oppose aux cléricalismes sous toutes ses formes…Ce postulat est en soi en
harmonie avec l’islam qui lui aussi s’oppose à toute institution cléricale de
type autoritaire telle que celle comprise dans la tradition judéo-chrétienne. A
partir déjà de cette notion les musulmans peuvent se réapproprier les
principes qui fondent la laïcité et vivre celle-ci comme une opportunité et
non plus comme un conflit. Car pour celui ou celle qui se ressource dans les
textes islamiques, rien dans ce qu’offre la laïcité ne s’opposerait à priori aux
principes islamiques. Il est vrai aussi que le caractère englobant de l’islam
peut prétendre à confusion et faire penser, aussi bien aux musulmans qu’aux
non musulmans, qu’en islam il n’existerait pas de séparation entre l’espace
public et le privé…C’est un faux problème car comme on l’a déjà dit n’ayant
pas de clergé il n’existe pas d’autorité théologique à proprement dit qui
dicterait des normes à suivre ni dans le politique ni dans quelque domaine
que ce soit et l’usage du dogme et de la raison sont bien distincts en islam
même si les deux domaines peuvent être nourris par un même besoin de
transcendance… L’incompatibilité entre l’islam et la laïcité qu’on nous
rappelle obsessionnellement n’est pas une formulation valide en soi si on
prend le temps de faire un véritable travail de prospection de l’histoire de
l’autre et ce de part et d’autre…
Devant cet état de fait, on peut établir que si le principe de la laïcité est un
espace qui garantit le respect de tous et la liberté de tous, les musulmans en
général et la femme musulmane en particulier ont de par leur présence dans
ces pays dit laïques, de formidables opportunités de libertés et l’occasion de
revendiquer une véritable citoyenneté de droit.
Il est vrai que de nombreuses femmes musulmanes héritent, de par leurs
origines, des traditions et des coutumes dont certaines peuvent être en soi
dévalorisantes et source d’oppression. Elles vont de ce fait se retrouver face
à un vrai dilemme : soit celui de se révolter et de se libérer des traditions
culturelles ancestrales soit celui de se taire et de rester en marge de la société
en faisant de la résistance culturelle… Entre celles qui vont essayer de
« gommer » ou d’effacer toutes leurs différences culturelles afin de mieux
s’intégrer dans la société d’accueil et celles qui afin de mieux se protéger
des autres, vont refuser de « s’émanciper » au fond plus par peur de trahir les
siens que par véritable conviction, il y a tout un monde
d’incompréhension…Il faudrait d’abord faire la part des choses et savoir
distinguer entre l’islam comme message spirituel et la culture islamique
d’une ethnie donnée…De nombreuses musulmanes respectent par obligation
des traditions au fond à l’opposé des principes islamiques croyant par là
respecter la religion…Toutes les cultures sont sources de richesse mais il
faudrait savoir refuser celles qui véhiculent un message d’oppression et qui
font de la discrimination une valeur culturelle…Les cultures arabes,
africaines …sont par exemple très patriarcales et la confusion est encore plus
profonde quand la discrimination est cautionnée par le religieux…Il ne faut
pas oublier que la mémoire de ces femmes vient de très loin…Une mémoire
féminine soumise depuis des siècles à la subordination et à un travail de
persuasion qui les a renier en tant qu’individus, qui les a convaincues de leur
infériorité et les a finalement prédisposer à accepter leur sort avec
résignation voire des fois à le revendiquer !!! D’où toute l’importance de la
relecture des sources scripturaires et celle contingente de l’histoire de l’islam
par les femmes et pour les femmes…Car on ne le dira peut être jamais
assez : l’ignorance est un facteur qui a longtemps été utilisé volontairement
pour marginaliser les femmes et qui continue malheureusement de jouer en
leur défaveur…L’islam relue avec d’autre yeux que ceux d’un « littéralisme
médiéval » peut être source d’une véritable émancipation féminine surtout
quand on sait que la marge d’interprétation est grande et que le Coran luimême
offre une très large latitude laissée sciemment aux consciences
individuelles… Les espaces offerts par une laïcité ouverte à tous, sont
une extraordinaire aubaine pour celles qui justement tout en choisissant
de rester fidèles à leurs références spirituelles font ce travail innovateur
de « repenser » l’islam à partir de leurs réalités contextuelles
européennes ou américaines…Certaines ont déjà entamer ce travail de
réflexion qui leur permet de se construire librement et prouvent ainsi que
l’islam quand il est bien compris peut être un formidable moyen
d’intégration et ce quelque soit le contexte où l’on se trouve… Le champ de
travail est énorme pour celles qui veulent faire l’effort de concilier
modernité et tradition spirituelle et tous les sujets concernant la femme en
islam doivent être revues et analysées à travers le prisme d’une nouvelle
vision inspirée des valeurs de la liberté de conscience et de la liberté des
individus. Une véritable démarche spirituelle qui leur soit propre et qui leur
permet de se réapproprier leurs sources religieuses en dehors des
contraintes culturelles des pays d’origine. C’est justement dans cet espace
offert par la laïcité que ce type de femme musulmane peut s’épanouir…
Des femmes conscientes de leurs droits, de leurs responsabilités et qui font
leurs choix au nom de leurs convictions.
Je vous confierais en connaissance de cause que l’on aurait voulu avoir le
quart de cet espace de liberté chez nous pour pouvoir instaurer des débats
innovateurs de ce genre et pour faire évoluer une pensée religieuse qui reste
malheureusement encore prisonnière d’une législation islamique datant des 3
premiers siècles de l’islam…C’est dire combien il est important pour nous
femmes musulmanes du Sud de voir des femmes musulmanes du Nord
réussir leur intégration au nom de leurs références religieuses afin qu’elles
puissent servir de modèles aux mouvements féminins musulmans de ce
genre encore très minoritaires en terre d’islam !
Il va sans dire que cet espoir de voir une véritable identité féminine
musulmane se construire au sein des espaces de liberté offerts par l’occident
ne peut être concret que si du coté occidental non musulman on fasse l’effort
de ne pas tomber dans cette « logique du dominant » qui prétend imposer
une norme précise dite occidentale comme unique moyen
d'émancipation. Une sorte de norme laïque érigée en vérité
absolue…Autrement dit ne pas « sommer » l’autre de se défaire de toute
référence d’origine afin d’être mieux accepté…On doit aussi de ce coté là se
défaire de cette peur qui paralyse tout effort de discernement comme le fait
de voir dans le « retour du religieux » l’expression exclusive d’une montée
de tous les fondamentalismes…Ce retour vers les sources ne peut être réduit
uniquement à cela ; on doit pouvoir percevoir à travers ce retour un besoin
légitime de transcendance, une quête de sens et d’identité
spirituelle…Comme on doit cesser aussi de voir en toute exigence de
transcendance un phénomène de retard culturel ou une forme d’aliénation et
s’interroger sur la légitimité d’un tel processus…La pluralité culturelle est
finalement basée sur la nécessité de connaître l’autre comme il est et non pas
comme l’on voudrait qu’il soit !!!
Finalement si on pouvait dépasser de part et d’autres les clichés réducteurs et
les apriorismes et ne pas rester tributaires d’une catégorisation musulmane
ou occidentale, l’on verrait sans doute, le formidable enrichissement mutuel
qui pourrait résulter d’une alliance féminine avant tout… Une alliance de
femmes, de toutes les femmes, contre les discriminations sexistes qui vont
depuis l’imposition des traditions culturelles humiliantes jusqu’à celles
imposées par le diktat de la mode et qui réduisent le corps de la femme à un
simple objet sexuel… Dépasser les divergences culturelles afin de retrouver
des ponts communs pour la défense des droits de la femme, mais aussi des
minorités, des pauvres et de tous les exclus de ce monde…Je pense très
sincèrement -et peut très naïvement aussi -que c’est cela qui doit unir avant
tout, déconstruire les peurs et retrouver une passion commune celle de
dénoncer les oppressions, toutes les oppressions au nom des valeurs
universelles et au nom avant tout de notre humanité…

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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