Asma LAMRABET

La naissance de Mariam dans le Coran et le mythe du « garçon est différent de la fille »…

Avec la naissance de Mariam, l’humanité entame une nouvelle épopée et franchit l’un de ses avants derniers itinéraires spirituels… C’est l’aube d’un profond renouveau spirituel qui pointe et qui restera à jamais gravé dans la mémoire de l’histoire… C’est ainsi que le Saint Coran célébrera la venue au monde de Mariam, l’une des femmes des plus importantes, si ce n’est « la plus importante » qu’est connue l’humanité et dont le parcours spirituel restera sans aucun doute l’un des plus beaux au monde…

L’histoire de la nativité de Mariam telle qu’elle est racontée par le Coran, débute par l’invocation de celle qui l’enfantera et qui est citée sous le nom d’ Imraatou Imran l’épouse d’Imran. La mère de Mariam, encore appelée Hanna par les historiens musulmans ou Anne selon la tradition chrétienne[1], est décrite comme une fervente croyante qui, au terme d’une longue stérilité, et de nombreuses implorations destinées à son Créateur, verra son désir d’enfanter exaucé à un âge avancé de sa vie…

Bouleversée de bonheur par l’annonce de cette grossesse tant désirée, elle fera « vœu de consécration » de l’enfant à venir à Dieu en gage de sa reconnaissance et de sa gratitude infinie… C’est ainsi que le Coran décrit cet épisode : « La femme d’Imran dit : « Seigneur je Te voue comme consacré (Muharraran) ce qui est dans mon sein ! Daigne Seigneur, l’accepter ! Tu es, en vérité, Celui qui entend tout, qui sait tout » Coran 3 ; 35

Hanna, femme profondément religieuse, souhaitait ardemment « offrir » son futur enfant à Dieu… Ce qui traduit dans le langage de l’époque reviendrait à dire qu’il serait entièrement voué au service du Temple sacré… En effet, selon les traditions de l’époque, le rite juif donnait la possibilité de consacrer, dès la naissance, de jeunes enfants au service du Sanctuaire, mais il ne pouvait s’agir que de garçons du fait – toujours selon les coutumes de l’époque – des menstruations des filles considérées comme source d’impureté… On notera, qu’à travers le temps et l’histoire de l’humanité la discrimination envers le sexe féminin est chose courante et se fera encore plus sentir dans le domaine du sacré considéré, à tort, comme l’apanage du masculin par ordre divin ! Selon la logique des usages de l’époque, pour pouvoir concrétiser son engagement, Hanna « se devait » de mettre au monde un garçon afin de lui faire accomplir cette mission religieuse spécifiquement assignée aux plus vertueux d’entre les hommes… Elle rêvait donc de voir son futur enfant parmi les fidèles de Dieu… Ceux qui étaient parmi les Elus de la cité… Elle voulait que son enfant soit « muharraran », autrement dit « libéré » et « affranchi » de l’esclavage de ce bas monde. L’exégèse coranique aussi bien classique[2] que mystique exprime l’aspiration de Hanna de voir son futur enfant libéré de la dépendance des passions négatives et des exigences de son âme charnelle…

Elle le désirait totalement voué à l’amour de Dieu, à Son obéissance et au service de Ses amis, de Ses adorateurs, ceux qui vivaient dans la Maison Sacrée[3]. Cette interprétation rejoint celle de Sayd Qotb, qui décrit la mère de Mariam comme une âme pieuse et qui en « offrant » le fruit de ses entrailles à Son Créateur, nous donnait par la même occasion une belle leçon de « libération humaine ». Elle le voulait libéré de tout sauf de LUI… C’est la parfaite traduction de la soumission à Dieu, l’image sublime de la profonde adhésion au principe de l’Unicité Divine ou Tawhid…

Mais quelle fut sa surprise lors de la naissance de son enfant de voir que Dieu lui avait donné une fille ! Comment une fille pourrait-elle gérer cette fonction religieuse, privilège exclusif du sexe masculin ? ! Hanna apparaît, dans un premier temps, un tant soit peu « déçue » d’avoir mis au monde une fille… Le Coran nous décrit la tristesse à peine voilée de cette mère, de se voir enfanter une « pauvre fille », alors qu’elle avait promis de vouer son futur enfant « un garçon comme il se doit ! » à cette consécration religieuse de l’époque… Désemparée, elle se retrouve entrain de s’en excuser auprès de Son Seigneur : « Et lorsqu’elle eut mis son enfant au monde, elle s’écria : « Seigneur j’ai donné naissance à une fille » – Dieu le savait bien – « Un garçon n’est pas pareil à une fille » (layssa adhakari kal untha). Je l’ai appelée Mariam ajouta-t-elle, et je la mets, Seigneur sous Ta protection, elle et sa descendance contre Satan le réprouvé. » Coran 3 ; 36.

Hanna était donc attristée, déçue, mais elle avait surtout peur de décevoir Son Créateur et de ne pouvoir accomplir sa promesse… Cependant, on perçoit à travers sa triste déception, un sentiment de révolte latent devant l’injustice de cette coutume discriminatoire, qu’elle exprimera à Dieu sous forme d’une complainte personnelle… « Un garçon n’est pas pareil à une fille ». Un constat qu’elle évoque amèrement devant Dieu… Hanna se « plaignait » de cet ordre social établi qui interdisait aux filles d’accéder à ce pouvoir religieux ! ! ! Dans cet entretien intime avec Dieu, Hanna, se plaint, se confie et implore Son Créateur… Elle veut croire jusqu’au bout que son vœu de consécration pourra se réaliser même avec une fille ! ! ! Elle conjure Dieu de l’accepter et de la préserver : « Je l’ai appelé Mariam, et je la mets Seigneur sous Ta protection… ». Dans le langage de l’époque, Mariam, voulait dire, la dévote ou la servante de Dieu[4]. Hanna exprimait à travers ce prénom sa détermination mais aussi sa confiance en la réponse divine…

L’exégèse classique attribue le verset « Dieu le savait bien… » à Dieu lui-même, qui répond à la lamentation de Hanna en lui assurant que justement cette fille qu’Il lui a octroyé est infiniment meilleure que le garçon qu’elle espérait et que ce que lui réserve l’avenir est loin de ce qu’elle prévoyait pour le garçon tant attendu[5] ! ! Le vœu de Hanna est exaucé et Dieu l’affirme dans le verset suivant : « Et son Seigneur lui fit un bel accueil, Il lui assura une heureuse croissance… » Coran 3 ; 37

En dépit donc, du fait que le statut de « muharraran » autrement dit celui de la « consécration » au temple saint, était dévolu aux seuls garçons, Dieu choisira une fille et lui accordera cette faveur religieuse, tant convoitée, accordée habituellement aux seuls Élus « hommes » de l’époque… Dieu choisira donc explicitement une fille pour remédier à la situation discriminatoire de l’époque et pour démontrer aux êtres humains, quelque soit leur époque, que finalement ce n’est point une question de « genre » mais plutôt de « vertu » et de « piété ». Et Mariam sera sans conteste celle qui personnifiera la référence universelle de cette « piété humaine » attirant ainsi l’émerveillement de ses contemporains et de tous les humains quelque soit leur époque…

Certains commentateurs et penseurs musulmans vont cependant extraire le verset : « Un garçon n’est pas pareil à une fille » « Layssa adhakar kal untha » hors de son contexte historique et lui attribuer une interprétation qui va à l’encontre du sens effectif tel voulu par le Coran.

En effet, alors qu’il s’agit, comme il a déjà était dit, de rétablir une injustice et donc d’abolir une tradition sexiste de l’époque, voilà que certains, vont utiliser ce verset comme un « justificatif » pour cautionner « religieusement parlant » une supposée « prépondérance » des hommes sur les femmes! ! ! Alors que le propos divin est ici on ne peut plus clair, autrement dit, corriger, voire contester, une coutume injuste de l’époque, certains interprètes vont rester figés dans une malheureuse misogynie culturelle et prétendent que ce verset est une affirmation Divine de la supériorité des hommes envers les femmes.

Le plus alarmant c’est que l’argumentaire utilisé par ces derniers est à la limite du risible pour ne pas dire du ridicule puisque certains « expliqueront » l’infériorité de la femme – affirmée, selon eux, par ce même verset – par le fait que cette dernière n’est pas obligée, lors du mois de Ramadan, de « rattraper » les jours de jeûne en cas de rapport sexuel pendant la journée – interdit normalement pendant le jeûne – alors que l’homme a l’obligation de le faire[6] ! ! ! On ne voit d’abord vraiment pas où est le rapport ni la logique d’une telle affirmation mais le fait est que ceci est repris noir sur blanc dans les grands ouvrages d’exégèse classique ! ! Tandis que d’autres, toujours pour légitimer la supériorité des hommes, vont s’empêtrer dans les éternelles justifications des menstruations et des transformations physiologiques qui, selon leur vision des choses, font de la femme un être « biologiquement » inférieure voire « incomparable » à l’homme qui lui a été épargné de toutes ces « impuretés » humaines… On confond « différence » biologique et naturelle avec prééminence et suprématie… Cette différence du point de vue biologique constitue d’ailleurs l’essentiel de l’argumentaire de ceux qui prônent l’inégalité entre femmes et hommes…

L’homme et la femme sont certes « distincts » dans leur structure physique mais cela ne veut pas dire supériorité de l’un sur l’autre… Cette vision est certes « différentialiste » mais nullement discriminatoire. Être femme ou être homme c’est être « Autre » sans être inférieur l’un par rapport à l’autre et la reconnaissance du droit à l’égalité n’est pas séparable de celle du droit à la différence.

On voit donc comment l’interprétation d’un verset qui est sensé plutôt « réparer » une tradition injuste envers la femme devient en fait un alibi pour une discrimination coutumière qui se veut fidèle aux principes de l’islam !

À travers cette histoire de la naissance de Mariam, Dieu célèbre doublement la femme… D’abord en « comblant » le souhait de la mère, une fervente croyante, qui n’hésite pas à « déplorer », lors d’une supplication intime avec son Seigneur, une coutume sexiste de l’époque et ensuite, en prédestinant, la fille, Mariam à ce rôle de femme – Elue… La mère et la fille, deux femmes, qui se retrouvent honorées et comblées par le Créateur…

Hanna, en conjurant le Créateur d’accepter que sa fille soit parmi les êtres humains « libérés », va transmettre cet hymne de la libération à toute l’humanité… Mariam va naître « libérée » de toutes les contraintes… Et à travers sa « libération » Dieu transmet un message aux femmes et aux hommes de cette terre afin qu’ils se libèrent de toutes les formes d'asservissement, c’est là sans doute le sens profond de la vision islamique de la libération humaine



[1] Aucun texte du Nouveau testament ne mentionne le nom d’Anne, elle apparaît pour la première fois dans les protévangiles apocryphes de Jacques.

[2] Ibn Kathir ; At-Tabari ; Al kortobi. . .

[3] Sahl al Tustari, Tafsir al Quran al azim

[4] Tafssir Al Qortobi.

[5] Tafssir Al Kachaf Azamakhchari

[6] Tafssir Al-Qurtobi ; 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

derniere video

Asma Lamrabet

Les femmes et l'islam : une vision réformiste