Asma LAMRABET

La vision réformiste : de nouvelles perspectives et une nouvelle approche du message spirituel de l’islam

 

La vision réformiste : de nouvelles perspectives et une nouvelle approche du message spirituel de l’islam

Asma Lamrabet

Février 2016

Nouvelles perspectives

La thématique des femmes, depuis la « Renaissance » arabe ou Nahda (fin du 19ème siècle et début du 20ème siècle) est restée globalement limitée dans le registre d’une vision  traditionaliste et conservatrice  qui s’est focalisée sur les « droits et devoirs de la femme musulmane » et ce malgré l’approche « progressiste » de certains Oulémas réformistes[1].

La vision dite réformiste de la Nahda a été plus le produit d’une idéologie de « résistance » vis à vis du modèle d’émancipation imposé par le colonisateur qu’une véritable pensée réformiste sur la thématique des femmes au sein des sociétés arabo-musulmanes.

Il est important aujourd’hui de déconstruire cette approche traditionaliste, qui est  longtemps restée sous l’emprise d’une lecture politisée,  doctrinale et coloniale et ce tout en proposant une nouvelle approche décoloniale et réformiste de la thématique des femmes au sein de l’islam.

Pour cela, il s’agit donc de réétudier le cadre historique de la Révélation et de dépasser les éléments de langage propres au discours islamique conformiste  sur les femmes et ce  afin de pouvoir à terme réinsérer la thématique des femmes au sein  de l’éthique globale du message spirituel.

 

Etude critique du cadre historique de la Révélation Coranique

Ce cadre est très important à analyser afin de mieux saisir  les principes et finalités qui en découlent et delà à pouvoir en faire une lecture contextualisée.  L’historiographie islamique officielle et classique sous l’emprise des contraintes politiques n’a pas toujours été propice à une véritable relecture critique de cette période. 

D’autre part, il est fréquent de voir aujourd’hui au sein des débats sur la thématique des femmes une certaine propension à comparer  la notion  d’égalité telle que formulée dans le droit moderne avec les données de certains versets  coraniques « inégalitaires ». Or, c’est oublier que le Coran reste, malgré son impact réel encore très prégnant  sur le quotidien de millions de personnes, un texte qui a été révélé dans le contexte social particulier de l’Arabie du VIIème siècle.

C’est donc à l’aune de ce contexte mais aussi de celui de l’état des lieux du reste de la civilisation humaine durant cette période,  qu’il faudra évaluer les principes  d’égalité et/ ou d’inégalité dont fût porteur le message spirituel de l’islam.

C’est pourquoi il faudrait toujours savoir garder en tête le contexte  de la Révélation  dans lequel beaucoup de dispositions coraniques ont  été perçues comme totalement novatrices par rapport aux coutumes discriminatoires des peuples Arabes de l’époque.

En effet, la péninsule arabique était  régie par un ordre clanique où le pouvoir du patriarcat, de l’origine ethnique  (el assabya) et les guerres tribales étaient les seules normes sociales reconnues.

L’islam va bouleverser cet ordre non pas uniquement sur le plan spirituel et cultuel mais aussi et principalement  au niveau de l’exigence de justice et de remise en cause du système tribal despotique et inégalitaire qui régnait à l’époque.

La Révélation et le comportement du prophète de l’islam – très en faveur de la libération des femmes -  vont venir bousculer de très nombreuses règles sociales antéislamiques de l’époque et qui étaient, d’ailleurs,  relativement comparables à d’autres régions du monde où la discrimination des femmes étaient la règle.

L’une des premières coutumes   que  la Révélation va tenter de corriger,  c’est celle  notamment de la notion de  « déshonneur », encore de mise dans certaines régions du monde arabe, où le concept d’honneur « charaf » est  hautement symbolique dans les mentalités et se reflète principalement sur le corps des femmes, lieu de « l’honneur » de la famille et de la tribu.

Les femmes étaient aussi,  avant l’Islam,  considérées en général comme des  êtres méprisables, sous tutelle juridique depuis leur naissance et jusqu’à leur mort. Elles étaient considérées comme faisant partie des « butins de guerre », n’avaient aucun droit à l’héritage et faisaient plutôt partie des « choses » héritées par les hommes. Le divorce était un droit exclusif des hommes, la polygamie, considérée comme un droit inconditionnel, était illimitée et  sans conditions et aucune participation sociale ou politique des femmes n’était tolérée.

La Révélation coranique va ainsi tenter de contrecarrer certaines coutumes, de lutter contre les discriminations les plus flagrantes ou parfois tenter de réduire leurs effets par l’instauration d’une pédagogie de libération progressive durant les 23 années de la Révélation.

C’est ainsi que le Coran va par exemple attester de façon catégorique l’égalité spirituelle entre femmes et hommes. Ce qui ne va pas empêcher d’ailleurs certaines femmes musulmanes de l’époque, motivées par le souffle libérateur du nouveau message spirituel, de se plaindre directement au prophète, quant au ton un peu trop « masculin » du Coran et de critiquer ouvertement la Révélation ! La réponse ne tardera pas à venir puisque des versets vont être révélés dans lesquels le genre féminin va être utilisé en bonne et due forme en guise de réponse à ces revendications féminines et féministes de la première heure[2]. Revendications  féminines qui  faudrait –il le rappeler  seraient aujourd’hui inimaginables au sein du monde musulman !

La Révélation Coranique va aussi donner en exemple des femmes qui ont marqué le cours de l’histoire. C’est ainsi que l’on retrouve des modèles de femmes érigées en symboles de la liberté, de l’autonomie, de la juste gouvernance, des femmes symboles de l’amour, de l’abnégation et de la sainteté[3]. Cette symbolique féminine comme celle d’autres femmes citées dans le Coran est d’ailleurs rarement mise en évidence dans l’enseignement religieux ou dans le discours islamique contemporain où la norme est de valoriser uniquement les figures masculines de l’épopée islamique[4].

Dans plusieurs versets, le Coran va aussi inciter les femmes à la participation sociale et politique, notamment au cours des cérémonies d’allégeance politique ou « Bayaa » au cours desquelles les délégations d’hommes et de femmes concluaient un pacte politique avec le prophète de l’islam qui était le représentant de la communauté musulmane. La Bayaa était comprise à cette époque comme une initiative qui consistait à soutenir la représentation politique du dirigeant.  C’est là un acte éminemment politique auquel ont participé les femmes il y a quinze siècles au nom de l’islam[5].

Donner la parole politique à des femmes  dans ce contexte -là, alors que quelques années auparavant elles n’avaient aucun statut social, qu’elles faisaient partie du butin de guerre, qu’on les déshéritait parce qu’elles étaient femmes, constituait en lui-même un véritable chamboulement pour les normes sociales de l’époque.

L’importance et la valorisation des femmes par le message spirituel de l’islam étaient telles,  qu’après la mort du prophète ce sont les femmes qui vont être les gardiennes de la tradition religieuse. En effet, Aicha sera la première  femme Mufti de Médine et principale autorité religieuse de l’époque et c’est le Codex de trois femmes, Aicha, Hafsa et Oum Salama[6], qui a été utilisé  au moment de la compilation et de la mise en écrit du premier manuscrit coranique[7].

Cependant, la tradition musulmane a marginalisé voire dévalorisé leurs contributions et l’enseignement religieux en cours aujourd’hui dans la  majorité des universités islamiques ne fait nullement mention de ces femmes ni de leurs apports à l’histoire de la civilisation de l’islam.

Le monopole du savoir religieux par les hommes et l’exclusion des femmes au cours de l’histoire va petit à petit  marginaliser les acquis et apports de la Révélation qui vont être usurpés par la culture patriarcale, laquelle culture  va finalement contrecarrer cette révolution spirituelle  et enterrer le souffle libérateur  et égalitaire du message originel de l’islam.

Les raisons du  détournement de cette révolution spirituelle, de la détérioration du statut des femmes et de leur marginalisation au cours de l’histoire de la civilisation islamique  seraient très longues à développer, cependant on pourrait les résumer en trois causes essentielles :

1- Conflits politiques : l’apparition,  après la mort du prophète de l’islam, des conflits politiques pour le pouvoir et  toutes les luttes fratricides historiques lors des Califats successifs vont constituer l’une des principales causes de la marginalisation des femmes.  Après la révolution sociale des premiers temps de la Révélation, et comme dans toutes les révolutions de l’histoire de l’humanité, les femmes, malgré leur  présence effective et leur participation à tous les niveaux dans l’édification de la première cité musulmane, seront les premières victimes de la phase post révolutionnaire et celles à qui on demandera pour des raisons éminemment politiques de disparaître de l’espace public.

2-Les conquêtes islamiques : les premiers musulmans en contact avec les empires en déclin de l’époque – Sassanides, Byzantins et Perse – vont, au fur et à mesure, adopter les coutumes patriarcales des autres civilisations.  Les femmes musulmanes se voient alors imposer  - en plus de leurs propres traditions ancestrales - des coutumes qui n’étaient pas de mise dans la première communauté musulmane. C’est l’exemple de la tradition  du Harem et de la réclusion des femmes, très présente en Perse, et  qui s’impose durant l’empire des Abbâssides, comme étant un principe religieux émanant de l’islam. 

3-Le début de la codification des sciences religieuses : notamment Hadith (Sciences de la tradition du prophète) et Fiqh (jurisprudence islamique), qui, vers le 8ème  et 9ème  siècle, vont se faire, dans un contexte de troubles politiques majeurs et  vont être formulés et compilés dans un esprit très éloigné des principes éthiques du Coran. Ces deux sources Hadith et Fiqh vont constituer l’une des principales sources de discrimination des femmes et leurs fondateurs – essentiellement des hommes -  vont principalement s’inspirer de leurs conditions socioculturelles (U’rf) et de leur contexte fortement politisée, afin d’instaurer les premiers recueils orthodoxes. L’essentiel de ces textes va être compilé à une époque où les femmes ont perdu un très grand nombre de leurs prérogatives et c’est cette interprétation discriminatoire, sexiste et patriarcale qui a été finalement retenue, institutionnalisée  et sacralisée et qui demeure jusqu’à aujourd’hui la principale source de législation du droit de la famille  et ce dans la majorité des pays musulmans.

 

 



[1]  A titre d’exemple, des Oulémas tels que Mohammed Abdouh en Egypte et Allal el Fassi au Maroc avaient effectivement  proposé, à l’époque, la suppression de la polygamie, ce qui est formellement refusé aujourd’hui dans la majorité des codes de la famille musulmans (à l’exception de la Tunisie). Au Maroc, la polygamie a été permise sous conditions lors de la réforme du code de la famille en 2004.

[2] Voir le verset du Coran (33 ;55,) et pour plus de détails voir notre livre :  « Le Coran et les femmes :une lecture de libération » ; Tawhid, Lyon ; 2008 .

[3] C’est l’exemple de Hajjar, la seconde épouse du prophète Abraham, symbole de l’endurance et du sacrifice et dont les musulmans commémore la mémoire chaque année, depuis quinze siècles dans les rituels du pèlerinage dont le rituel du Sayi , ou les sept allers et retours entre les monts Safa et Marwa .

[4] Bilquiss, est une autre femme, que le Coran décrit comme étant une souveraine intelligente et juste, douée d’une grande habilité politique et à la tête d’un grand empire. D’autres femmes sont citées comme symbole de la résistance  à la tyrannie à l’instar de la mère de Moise ou de Assiah, épouse du Pharaon , cette dernière étant élevée au rang de la sainteté. Tandis que Marie, mère de Jésus sera érigée en modèle de la perfection spirituelle et de la prophétie

[5] Verset sur la Bayaa : 60 ;12.

 

[6] Epouses du prophète et qui furent surnommées « Mères des croyants » par le Coran lui même.

[7] Une étude récente a répertorié la présence de plus de 8000 femmes érudites, exégètes, traditionnistes, muftis  qui ont enseigné à de très nombreux savants musulmans  notoires, dont les fondateurs des écoles juridiques et ce à partir du 7ème  siècle ; Voir l’étude sur ce sujet en cours, faites par le Professeur Mohammed Akram Nadwi à Oxford ; Encyclopédie de 50 volumes, dont un ouvrage introductif est apparu en 2007 : « al Muhadhitates : the Women schlolars in Islam » Interface Publication, Juillet 2007.

 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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