Asma LAMRABET

Le concept de « Taqwa » dans le Coran

 


 

 

On retrouve dans le Coran un verset d’une  importance majeure dans son évaluation de la valeur intrinsèque et de l’intégrité morale des êtres humains qu’ils soient hommes ou femmes. Il s’agit du verset suivant :  Coran 49 ;13 : « Ô vous les humains ! Nous vous avons créés d’un homme et d’une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entre –connaissiez.  Le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu, est le plus - pieux, fidèle, dévoué - (atquakoum) ».

 

Notons, dès le départ, l’entrée en matière de ce verset où il est explicitement rappelé aux  humains leur origine commune. Celle d’un homme et d’une femme. Et de cette même origine, s’est établi une humanité répartie en une multitude de peuples et de nations.

 

L’extrême diversité de ces peuples fait souvent oublier l’origine commune et l’unité de la création. Cette diversité voulue par Dieu est sublimée dans ce verset où il est demandé à ces différents peuples justement de se connaître mutuellement afin de ne jamais oublier leur origine commune.

 

Dieu, a créé tous ces peuples et ces nations avec leurs spécificités, leurs différences, leurs cultures, leurs modes de vie…  A partir de l’unité de la création Dieu a justement créé la diversité comme une épreuve… Vivre la diversité, accepter  l’Autre dans sa différence n’est-elle pas encore aujourd’hui vécue comme un défi à tous nos égocentrismes modernes ?

 

L’incitation coranique faite à ces peuples de se connaître est une invitation à l’enrichissement mutuel à travers cette attitude humaine de l’ouverture sur l’Autre indépendamment de sa différence, de son ethnie ou de  sa culture d’origine. La connaissance mutuelle dont parle le Coran consiste donc à enrichir l’expérience humaine, constamment, éternellement, par cet apport de l’Autre, en ce qu’il a de meilleur à offrir de sa spécificité à l’universel humain.

 

« Le plus méritant d’entre vous auprès de Dieu, est le plus dévoué (atquakoum) » …De cette diversité  humaine, Dieu ne fait point de différence, entre tous ces êtres humains qu’Il a créé, nul ne peut prétendre à une considération  particulière ou à une préférence quelconque de la part de Dieu…Il n’y a ni peuple élu, ni nation privilégiée…   

 

L’égalité de tous les êtres humains aux yeux du Créateur est absolue et elle transcende tous les particularisme, de race, d’ethnie, de couleur ou de sexe…

 

Le seul mérite auprès de Dieu est celui que le Coran défini dans ce verset comme étant la « Taqwa »…

 

Mais que veut dire au juste la « Taqwa » ?  Étymologiquement , la Taqwa a un sens de prévention et de préservation.

 

Le prophète l’a définie comme étant une qualité intériorisée dans le cœur. Dans un hadith connu il affirma en parlant de la Taqwa :  « at- Taqwa est ici , at- Taqwa est ici » en faisant un signe de sa main vers son cœur[1].

 

Omar Ibn al-Khattab,  a demandé un jour  à un compagnon, Oubay Ibn Kaab,   de lui expliquer le sens de Taqwa ?  Oubay  a répondu : «Supposons que tu te retrouves un jour sur une route parsemée d’épines que ferais - tu  ? ».  Omar de répondre : « je retrousserais mes manches et je m’efforcerais d’éviter ces épines ! (ouchamir wa ajtahid) ». Ce à quoi Oubay a répondu : «  Et bien la Taqwa c’est cela ! »[2] . Autrement dit, c’est l’effort fourni afin d’éviter les épines, autrement dit, les « épreuves de la vie ».

 

La Taqwa est souvent  traduite par « piété ». Dans la signification islamique traditionaliste la Taqwa a le plus souvent été enfermée dans le domaine stricte des Ibadates, autrement dit du culte,  et de la morale  individuelle. On l’identifie souvent d’ailleurs comme un comportement religieux caractéristique de ceux qui appartiennent à un mouvement mystique de retrait du monde. Toujours selon cette signification la Taqwa est synonyme de peur de Dieu, de crainte, voire comme certains l’ont appelée de «  crainte révérencielle ».

 

Il est vrai que la Taqwa  peut être assimilée à de la piété, à de la crainte, à la peur du Créateur, ceci étant  un sentiment commun retrouvé dans le cœur des pratiquants et toutes les religions ont insisté sur ce lien entre la pratique du culte et la peur de la punition divine. Ce sont là des sentiments tout à fait humains et finalement spontanés, inhérents à la nature humaine ou Fitra, qui n’est autre que cette empreinte de la présence de Dieu, enfouie dans le plus profond de nos âmes humaines.

 

Mais la Taqwa ne peut être circonscrite à la piété et la peur…En fait, la Taqwa a deux dimensions essentielles, l’une intérieure, dans le cœur des croyants  comme l’a bien défini le prophète, mais aussi une dimension extérieure, qui consiste justement a extérioriser cette qualité en des actes et en un comportement reflétant cette vertu du cœur. En d’autres termes et  comme l’a bien décrit Oubay, quand il en décrivait le sens au Calife Omar, c’est avant tout l’effort personnel  entrepris par chaque homme et chaque femme  afin d’affronter les défis et les épreuves de  la vie!

 

La Taqwa doit d’abord être comprise et vécue comme étant une valeur spirituelle d’amour, de respect du Créateur mais qui doit être mise en pratique dans la vie de tous les jours.  C’est l’ouverture constante de l’esprit vers le Créateur.

C’est s’approcher par des actes de vertu à Dieu et être dans cette proximité intime et constante avec le Créateur de ces mondes. C’est avoir la conscience d’être avec Dieu toujours et partout à travers son cœur et ses actes.

 

C’est ainsi que l’on constate comment le Coran insiste sur cette égalité de tous les êtres humains dont le seul critère de préférence pris en compte par Dieu est celui d’une Taqwa conçue dans son sens pluriel et ouvert. Et non pas, comme l’ont compris certains, dans un sens restrictif de  dévouement passif,  fataliste et vain. La  Taqwa, certes, c'est être dévoué au Créateur et à ses injonctions mais c’est un dévouement qui sait rester actif, vivant, créatif, et qui ne peut se réaliser que dans l’intelligence de la foi et de la raison.

 

C’est dans ces sens que la Taqwa, doit être comprise et vécue, comme une profonde exigence de « liberté », puisque adhérer à la foi et à la transcendance c’est finalement délivrer « sa raison » des futilités matérielles  et des passions négatives et s’élever vers la liberté infinie.  L’homme pieux se sent profondément libre !...Rousseau n’avait il pas affirmé à juste titre : « Rendez moi libre en me protégeant contre mes passions qui me font violence, empêchez moi d’être leur esclave et forcez moi d’être mon propre maitre en n’obéissant point à mes sens mais à ma raison ».[3]

 

Les hommes et les femmes doivent rivaliser dans cette Taqwa afin d’avoir les mérites du Créateur. Elle  n’est finalement que cette spiritualité qui devient par l’effort et le mérite, une force libératrice, qui délivre les croyants et croyantes des chaines du matérialisme à outrance et qui les élève très haut vers les cieux de la liberté.

 

Le meilleur d’entre toutes les femmes et tous les hommes  devant  Dieu c’est donc  celui et celle qui saura se libérer de ses passions, de son Nafss ou égo  et qui fera le plus d’efforts pour se dévouer et pour accomplir le plus grand nombre de belles actions dans cette vie, pour les autres,  tous les autres, quelles que soient leur origine, couleur ou race. C’est là, l’illustration des plus belles égalités entre hommes et femmes, égalité qui se fait dans la liberté, l’engagement du cœur et dans le dévouement de l’action.

Asma Lamrabet

Avril 2013


[1] Hadith transmit par le compagnon Abderrahmane  Ibn Sakhr , ouvrage « al mashikha al baghdadia » Abi tahar assalafy, vol 23.

[2] Tafssir Ibn Kathir du verset 2 , sourate 2.

[3] « Islam et modernité », Abdellah Laroui, Centre culturel Arabe,3me édition, 2009, Casablanca, p 58. 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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