Asma LAMRABET

Le mariage en Islam : des liens intimes et un pacte lourd de sens

 

On retrouve dans le Coran deux concepts très importants et dont la portée symbolique et la signification profonde sont incommensurables. Il s’agit essentiellement d’al ifda, « afda baadakoum ila baad » et celui du « mithaq al ghalid ».

 

Al ifda , c’est ce que décrit le Coran comme étant cette relation intime qui unit les deux époux et qu’Ibn Abass a traduit aussi  par « se dévoiler »  ou « communier en secret »[1]. C’est autrement dit l’acte intime et amoureux qui lie les deux époux à un tel point que leurs âmes se dévoilent l’une à l’autre, leur faisant  partager une proximité intense des corps et du cœur.

 

Tandis que « al mithaq al ghalid » est traduit classiquement par le contrat du mariage « akd »,  et qui, effectivement,  peut être littéralement traduit par contrat « lourd ». En effet, puisqu’il est lourd de conséquences, n’est-il pas ce « lien solide » et cet  « engagement ferme » qui unit intimement deux personnes dans cette vie ?

Il est intéressant de noter ici l’importance de ce concept de « Mithaq ghalid » qui sera utilisé par le Coran dans un autre verset concernant l’engagement des Messagers envers leur Créateur[2]. Le pacte consacré lors de la vie conjugale  est aussi important que celui qui lie les Messagers au Créateur ! C’est le seul contrat qui est décrit ainsi dans le Coran, vu son importance et l’intérêt profond que porte l’éthique coranique à cette relation conjugale.

Le Coran parle à juste titre de « Mithaq al ghalid », autrement dit d’un contrat moral important par ses compromis car il traduit l’engagement des deux partenaires à respecter leurs responsabilités communes. Et qui dit contrat dit accord mutuel entre les deux partenaires à part égale. Ce qui contredit ici, entre autres,  la pratique des mariages forcés malheureusement de mise pendant longtemps et jusqu’à aujourd’hui dans certaines régions du monde islamique, voire dans certaines communautés musulmanes en Occident,  où un parent mâle - père, frère ou oncle - impose de force à une jeune fille de sa famille de se marier avec un homme qu’il juge, lui, convenable en faisant fi du consentement de la jeune fille.

Un hadith authentifié affirme que : « les femmes ne seront mariées qu’avec leur consentement »[3]. Dans la tradition prophétique on retrouve de nombreux récits où le Prophète insistait sur le consentement de la jeune femme à marier, ou interdisait l’imposition d’un mariage voire, dans d’autres cas, il tenait à dissoudre un mariage conclu sans l’accord préalable de la femme.

C’est le cas de Khansaa Bint Khidam qui s’est plaint d’avoir été mariée par son père contre son gré et dont le prophète a annulé le mariage[4]. Ou cet autre exemple de hadith qui relate l’histoire d’une jeune fille qui vient chez le prophète pour se plaindre du fait que son père l’avait mariée à un cousin sans son avis.  Le prophète lui laissa alors le choix de se séparer de son mari si tel était son désir. Elle eut cette sage réponse: « J’ai finalement accepté ce mariage mais j’ai voulu en me plaignant, démontrer aux femmes que nos pères n’ont aucune décision à prendre à notre place.  »[5]

Les femmes, lors de la période de la révélation ayant compris le nouveau sens apporté par l’islam à l’union conjugale, insistaient sur leur droit de choisir leur époux conformément aux nouvelles injonctions coraniques, qui sont venues supplanter la coutume des mariages forcés considérées comme la norme à cette époque[6].

Dans son exégèse, Ibn Kathir, décrit « al mithaq al ghalid » comme étant un lien qui ne peut être comparable à aucun autre lien : «  Il n’y a pas  plus grandiose et  plus sublime que ce lien qui unit les deux époux » dit-il, (la toujadou aadham oulfa mina alati tajmaou bayna azawjane). Il signale aussi que ce principe de mithaq al ghalid  a été reconnu les savants de l’époque comme étant un contrat de mariage dont la première et importante clause était définie par un autre verset coranique : « imsak bimaarouf aou tassrih biihssane » Coran 2 ;231. Ce qui peut être traduit par « vivre dans la bonne entente (Mâarouf) ou se séparer décemment dans la bienveillance »[7]. C’est là une autre base coranique fondamentale dans la vie commune conjugale. Le Coran stipule que le mariage selon cet engagement réciproque ne pourra se faire que sur la base de cette prescription qui engage les deux partenaires à vivre dans le Mâarouf, la bonne entente. Dans le cas où la vie à deux devient impossible et les désaccords insoutenables, il faudrait savoir alors se séparer dans la décence de l’indulgence mutuelle.

 «Al mithaq al ghalid »,  c’est finalement ce cadre conjugal de la générosité réciproque mais qu’il faut savoir rompre dans la décence et la pudeur aussi quand cet ifda ou cette communion s’est défaite avec le temps et qu’elle dégénère en animosité réciproque…

C’est ainsi que l’on va retrouver, tout au long du Coran, d’autres concepts décrivant l’union conjugale selon ce même esprit de symbiose et de réciprocité affective.

C’est le cas d’Attaradi, qui n’est autre que cette capacité à la satisfaction partagée et à l’entente mutuelle entre les deux époux[8].

Un autre terme coranique Atachaour,  signifie, quant à lui,  la concertation et là aussi le Coran insiste sur l’importance de la concertation mutuelle, dans toutes les affaires du couple, même celles qui nous paraissent les plus futiles, ou qui devraient normalement concerner uniquement les femmes, comme c’est le cas du verset qui parle du sevrage du nourrisson et où le Coran considère que cette décision devrait être prise par les deux partenaires[9]

Entente et concertation, Atachaour et Attaradi, sont là aussi des concepts clés dans le mariage et l’on peut remarquer facilement que c’est bien l’absence de ces deux principes qui font échouer  de nombreuses unions conjugales même si la relation amoureuse est là…L’amour à lui seul ne peut suffire puisque sans l’entente et la concertation, l’amour se transforme en  despotisme sentimental et finit par détruire tout le reste tout en se consumant lui même…

On retrouve aussi dans le Coran au sujet du mariage,  et à plusieurs reprises, le terme de Assakina, que l’on peut traduire par sérénité, et qui est un autre concept coranique utilisé dans la description de l’union qui lie un homme et une femme[10].  L’exégète Ibn Achour, compare ce principe coranique au « bonheur de l’âme »[11]. C’est dans la sérénité que doit s’accomplir l’union de deux êtres qui s’aiment.  Assakina c’est aussi vivre ensemble, tous les deux, dans la dignité et la noblesse de sentiments affectifs apaisés. Encore une fois, l’amour entre les époux, doit être consolidé par cette sérénité, cette quiétude de l’âme, pour réussir à dépasser toutes les épreuves de la vie à deux. Un amour sans sérénité, ou « l’amour fou » comme il est d’usage de le nommer, ne peut résister ni au temps ni aux imprévus de la vie…il  périt au feu de sa propre passion et ne dure que le temps d’une romance…L’amour a besoin de sérénité pour perdurer et pour conquérir, chaque jour que Dieu fait, le cœur de son partenaire.

Mawada wa rahma, que l’on peut traduire par amour profond et bonté infinie,  sont deux autres principes que l’on retrouve dans le Coran[12] .  L’amour conjugal y est décrit comme profond (mawada) et il est  naturellement accompagné de tendresse voire de  bonté infinie (rahma)

 Le Coran décrit aussi dans un autre verset l’union du mariage comme étant  « al libass » ou  « vêtement » : « Elles (vos épouses) sont un vêtement pour vous autant que vous l’êtes pour elles » Coran 2 ;187. Chaque partenaire « s’habille » de l’autre, c’est un peu comme cette expression commune d’entrer dans la peau de l’autre, de le connaître parfaitement, de se mettre à sa place et de réagir dès fois de la même façon devant certaines épreuves de la vie.

Dans le Coran, on retrouve aussi un autre terme qui décrit l’union conjugale,  qui est celui du Fadl  et que l’on peut traduire par générosité : « N’oubliez pas -al fadl - la générosité qui vous unit » Coran 2 ;237. Le Coran insiste sur la générosité dans tout ce qui unit les deux époux. La générosité dans l’amour, dans le don de soi, dans le comportement, la générosité même dans la séparation…

La générosité pour le meilleur et pour le pire. Cette bonté du cœur doit accompagner les deux partenaires dans leur vie commune, dans leur quotidien afin que les enfants qui grandissent dans cet environnement, façonné par la bonté et la générosité, soient eux - mêmes généreux avec les autres, avec leur entourage et avec la Création. C’est une générosité du cœur et de l’âme qui unit les deux époux et Dieu dans ce verset exhorte les deux partenaires à ne jamais l’oublier: « N’oubliez pas al Fadl! »… Oui, combien de fois, la vie à deux avec ses multiples contraintes, ses tentations néfastes et sa routine qui tue, nous fait oublier l’essentiel de notre union avec l’autre…A l’occasion d’un malentendu, d’une crise, d’un conflit entre les deux époux et voilà que toute cette belle relation sombre dans les errances de l’oubli et de l’hostilité et cette générosité du cœur et des sens disparaît pour laisser place aux pires rancœurs et aux pires déchirements, comme si de rien n’était !…

Asma Lamrabet



[1] Ibn Abass cité dans Tafssir Ibn Kathir .

[2] Coran 33-7

 

[3] Hadith où le prophète cite aussi bien le consentement de la veuve que celle de la jeune fille, Sahih al-Boukhari 4741.

[4] Rapporté par al Boukhari, chapitre « dans les mariages » vol 15, p 373.

[5] Sunnan Ibn Maja. 

[6] Voir récits similaires dans « Encyclopédie de la femme en islam », Vol I, p 153, Editins Al Qalam 2007.

[7] Tafssir Ibn Kathir , verset 4 ;19.

 

[8] Verset 2 ;232 et 233.

[9] Coran 2 ;233.

[10] Coran 7 ;189 et Coran 30 ;21

[11] Tafssir Atahrir wa Atanouir, Ibn Achour.

[12] Coran 30 ;21.

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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