Asma LAMRABET

Maroc : des femmes iconoclastes

 

Pourquoi laisser le dialogue interreligieux aux mains des seuls théologiens et religieux de sexe masculin ? Telle est la question que s'est posée Asma Lamrabet, médecin biologiste hospitalière et présidente du Centre d'études et de recherches féminines en islam (Cerfi), une association marocaine membre de la Rabita des oulémas (théologiens musulmans). Une remise en cause iconoclaste en terre d'islam. Aux yeux de ce dynamique médecin, croyante, cultivée et libérale, il semblait indispensable de montrer que le Maroc peut pratiquer un islam tolérant et moderne dans cette période de grande intransigeance religieuse.

C'est donc un séminaire inédit qui vient de se tenir à Rabat. Soixante femmes venues de vingt-sept pays différents, des chrétiennes, des musulmanes et des juives - les trois religions du Livre -, viennent de se retrouver pendant deux jours pour ouvrir un dialogue interreligieux et discuter des rapports entre femmes et religions. "Très vite, nous avons dépassé l'aspect purement religieux pour déboucher sur le culturel et le social", explique Asma Lamrabet, ravie de son expérience réussie.

Double tabou

Ce n'était pas évident. En effet, son initiative se confrontait à un double tabou. Le premier : organiser un dialogue interreligieux entre femmes et par une femme. Voilà qui ne s'était encore jamais fait, les hiérarchies des trois grandes religions étant uniformément masculines. Le second : les participantes au séminaire n'étaient pas des intellectuelles ou des universitaires qui s'exprimaient en leur nom, mais des femmes impliquées, à titre divers, dans les institutions des trois religions. 

Il y avait là des femmes pasteurs, une femme rabbin (une Française), non reconnue par le judaïsme orthodoxe, une représentante du Vatican (qui interdit la prêtrise aux femmes), une soufie, mexicaine et imam, probablement la seule femme imam de l'islam, des religieuses chrétiennes du Guatemala, mais aussi une Guatémaltèque protestante et maya, qui pratique un syncrétisme qui a enthousiasmé les participantes par son ouverture d'esprit, une représentante de la cellule interreligieuse de la Commission européenne, une magistrate libyenne qui a pris de grands risques pour sortir du pays et venir raconter comment les droits des femmes étaient désormais bafoués dans son pays...

Au-delà des religions monothéistes

Le pari d'Asma Lamrabet a donc été gagné. Une seconde édition de ce séminaire devrait avoir lieu dans deux ans. En attendant, les participantes vont élargir leur réseau. Leurs objectifs : inclure des femmes qui ont des spiritualités autres, au-delà des religions monothéistes. Pas si facile. Ainsi, l'organisatrice aurait aimé inviter, dès cette année, des femmes bouddhistes. "C'est trop tôt", lui a-t-on répondu à Rabat. 

Au départ, l'idée de réunir des femmes des trois religions du Livre n'était pas bien vue de tous, des salafistes, bien sûr, mais aussi de l'aile conservatrice des oulémas, les théologiens musulmans. La lecture moderniste de l'islam n'est pas prônée par tous dans le royaume. Jusqu'à ce que le roi Mohammed VI, commandeur des croyants, offre son patronage à la rencontre qui s'est terminée par une soirée soufie, la branche mystique de l'islam, dans laquelle toutes se sont retrouvées.

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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