Asma LAMRABET

Pour un féminisme spirituel universel…

  

Asma Lamrabet

 

« Ah, être libre de ses choix ! Avoir une force suffisante pour choisir, diriger sa vie, ne pas subir les éléments. Moi, je suis entrée au couvent pour être libre ! Parce que quand j’étais jeune, j’étais extrêmement coquette, je voulais plaire aux beaux garçons, j’aimais m’habiller dernier cri, je n’obéissais à personne …et ma vie était bête. Sans valeur. J’ai senti qu’elle ne tenait à rien. Choisir une vie de plaisirs ne me libérait pas de moi-même. Je voulais m’occuper de l’enfance malheureuse. Et puis ; j’aimais le Seigneur[1]. »

Ces très belles paroles sont de Sœur Emmanuelle, personnage très connue et respectée en France, notamment pour sa noblesse du cœur, sa foi et son inépuisable énergie en faveur des plus démunies comme, entre autres, son travail inestimable avec les chiffonniers du Caire.

Je me suis retrouvée dans ces paroles. Celle d’une femme qui se libère par sa foi et ses convictions et qui clame fièrement et bravement son amour pour le Créateur…Mais en même temps je me suis demandée, un peu naïvement peut être, pourquoi le discours de Sœur Emmanuelle était digne de respect voire d’admiration alors que celui qui pouvait être prôné par d’autres croyantes comme les musulmanes par exemple l’était moins ou pour être plus juste ne l’était pas du tout ?  Je ne suis pas sure du tout que de telles paroles exprimées par une femme musulmane tout autant engagée spirituellement parlant au service des autres -et elles existent- aurait été publiées dans une revue française de renom. Dans ce genre de magazine on a plutôt l’habitude de voir les femmes musulmanes victimes de tel ou telle autre oppression au nom de l’islam ou bien celles qui fustigeront l’islam en tant que religion, source de tous leurs malheurs…

En tant que femme musulmane, cette approche de la liberté, comme revendiquée par sœur Emmanuelle,    à partir d’un amour qui transcende tous les autres amours de cette vie, est mienne et je la vis entièrement et profondément…Mais pourquoi mon approche à moi et à travers elle, celle de nombreuses autres femmes musulmanes ne serait –elle pas comprise ni même respectée ? Qui avait-il donc dans ces sentiments spirituels dits « islamiques » qui dérangeait tant ?

Pourquoi le fait de rajouter ce terme « islamique » changeait –il à lui seul toutes les donnes…Le voile de sœur Emmanuelle impose le respect, celui dit « islamique » est désormais un « repoussoir » universellement accepté. La libération des femmes, de toutes les femmes,  quelque soit son intention première est respectable mais quand elle s’exprime à partir d’un référentiel islamique elle devient suspecte voire dangereuse. Le féminisme est plus ou moins accepté quand il vient s’inscrire selon des normes qui se disent « universelles » comprenez occidentales et dès qu’on lui rajoute l’adjectif « islamique » il devient inacceptable voire insoutenable pour certains.

Lors d’un congrès organisé par des femmes socialistes espagnoles, une députée espagnole et une algérienne m’ont vertement exprimé leur refus d’accepter un quelconque féminisme islamique. Le féminisme il n’y en avait qu’un seul et soit on y  adhérait, corps et âme,  soit on le refusait et on ne pouvait lui rajouter un attribut.  C’était on ne peut plus clair. Ces féministes démocrates étaient les championnes de la liberté d’expression. Selon leur vision des choses, partagée par un grand nombre d’intellectuels,  le féminisme ne pouvait être conciliable avec cette religion qu’est l’islam et qui semble aujourd’hui plus qu’hier détenir le prix d’excellence de l’oppression des femmes et de tous les maux de cette terre…C’est exactement ce qui se passe du côté musulman où il est rare de concevoir une vision islamique de féminisme. Pour les tenants de cette approche, le féminisme est une construction idéologique occidentale structurellement incompatible avec les principes de l’islam.

Cette anecdote m’en rappelle une autre, celle d’une entrevue qui m’a été concédée lors d’un passage au Canada pour une conférence, avec une équipe d’universitaires spécialistes dans le féminisme et religions.  La responsable du dit département, après les présentations me pose d’emblée cette question : « Que veut dire pour vous l’égalité hommes femmes ? »  Aurait-elle posée cette question à une femme venant d’Europe ou de n’importe quel pays du monde autre qu’islamique ?  Elle n’était pas sure que chez nous, les gens du Sud, a fortiori, les musulmans, on pouvait comprendre l’égalité comme on le fait tellement bien chez eux dans le Nord ! Elle avait devant ses yeux, une femme, musulmane et qui de surcroît arborait  son islam à travers un voile qui devait en dire long sur sa façon de penser et d’imaginer l’égalité !

C’est pour cela et pour bien d’autres choses aussi  qu’il m’est apparu essentiel d’essayer de clarifier les bases d’un débat déformé  depuis le départ par le seul qualificatif d’islamique.  Le contentieux entre l’islam et les femmes est bien lourd et je ne prétendrais pas ici le résoudre. Mais il m’a semblé important de poser les termes de ce débat différemment en proposant une approche intérieure, à partir  d’un certain vécu personnel qui tente de se réapproprier les contingences d’une réalité complexe certes mais riche en enseignements…

 

 

 

 

ll faut avouer que j’ai longtemps  hésité avant de me décider à écrire sur ce thème…

Prônant actuellement une  revendication féminine au nom de mes références spirituelles, j’ai eu bien du mal moi-même à « étiqueter » mon engagement comme étant  « féministe » !!

Pourquoi ?

Et bien parce que ce concept a trop longtemps été pour moi synonyme d’antireligieux et me retrouver aujourd’hui en train de clamer haut et fort des droits au nom de ma religion n’a pas été chose aisée. Une religion que j’ai d’ailleurs, à un certain moment de ma vie, considérée  comme étant incompatible avec  ma liberté de femme.

Le féminisme, dans sa version la plus officielle et  tel qu’il était véhiculé à une certaine époque de ma jeunesse a nourri mes rêves de jeune fille…Une jeune fille  qui se voulait dans l’air du temps mais surtout « libérée »  du poids écrasant d’une  tradition religieuse qui l’étouffait et limitait ses perspectives d’avenir. 

Le féminisme évoquait pour moi cette période, de révolte et de lutte  contre l’inégalité des droits, contre l’oppression et l’injustice mais aussi contre une culture qui puisait largement dans la religion tous les ingrédients propices à l’asservissement des femmes… En tant que femme maghrébine , j’ai vécue une véritable double culture entre, un père politiquement socialiste mais qui est resté concernant l’éducation des filles très traditionaliste  et l’univers  d’une éducation, à l’école très occidentalisée…Le décalage entre ces deux mondes était impressionnant…Et pour fuir une réalité pas très valorisante pour la femme que j’étais, je puisais mes espoirs dans les livres et revues pour « femmes d’ailleurs », très éloignées de ma propre culture  mais  à travers lesquelles je me retrouvais complètement et sur lesquelles je projetais mes rêves de future femme libérée…  Je percevais leurs luttes comme étant un peu la mienne…Mais les espaces de liberté et d’expression de part et d’autre étant incomparables …je ne faisais donc que rêver…Rêver de jours meilleurs…

J’ai grandie donc nourrie d’une certaine vision « universaliste » qui faisait du féminisme un concept occidentalisé, moderniste et surtout  libéré de toute religiosité…Etre féministe c’est  d’abord et avant tout être libérée de toute attache religieuse puisque, comme « on » le sait, les religions ont depuis toujours  opprimer les femmes… 

Ces affirmations, jusqu’à une certaine époque de ma vie, ne me dérangeaient guère, bien au contraire, elles me réconfortaient quelque part puisque je retrouvais dans  mon quotidien  de musulmane tous les arguments qui confirmaient cet état de fait…

Et puis j’avoue avoir plutôt adhérer à cette vision « émancipatrice » de la femme, qui me paraissait alors la seule à même de la libérer des tabous profondément ancrés  dans ma culture traditionnelle.

La vie, les années passant et une quête de sens et de spiritualité, jour après jour plus pressante,  m’ont progressivement fait changer d’avis !! J’avais l’impression d’avoir été un peu « bernée » par une liberté illusoire qui au fond ne m’a rapporté qu’un arrière goût de déception et de frustration...De quoi m’étais-je libérée au fond ? J’avais, en tant que femme, un certain confort matériel et moral…Médecin, marié et heureuse, mère de famille, indépendante et autonome, qu’aurais-je pu espérer de plus ?  Rien normalement. Mais cette « liberté » ne me suffisait plus…Elle me paraissait même être un emprisonnement…Ma liberté était « insipide » et intérieurement vide de sens…

Le choc de la rencontre avec le SENS de la vie, une spiritualité longtemps recherchée et une redécouverte de l’islam en tant qu’éthique de vie,m’ont finalement ouvert les yeux sur un monde enfouie que je ne connaissais pas et qui m’a profondément ébranlée…

Du coup et par instinct je devais alors rejeter tout ce qui était sensé avoir justement nourrie ma vision antérieure, l’émancipation version occidentale et bien entendu le féminisme avec !!  Alors que je nourrissais l’espoir de me libérer de toute attache religieuse afin de devenir une véritable femme émancipée voilà que je me retrouvais profondément croyante et à vouloir cette fois ci  rompre avec tous mes principes  de liberté féminine ! On m’a tellement rabâché que les deux étaient incompatibles qu’il fallait donc que je choisisse … Que je choisisse entre le sens et l’existence…entre redonner un sens à ma vie ou exister dans une vie sans sens comme un être vidée de son âme et qui déambule dans cette vie sans conscience d’être …

Le dilemme était grand. Comment pourrais-je vraiment me libérer de mes aspirations féminines, celles qui ont fait de moi une femme indépendante et autonome ?

Il est toujours très difficile de vouloir faire table rase de son passé, de vouloir changer de vie, d’essayer d’effacer ce qui a forger votre caractère, votre esprit et votre cœur…

Et me retrouver en face de cette nouvelle perception de l’islam m’a en quelque sorte « dépouillée » et surtout fragilisée par rapport à mon vécu…

Cela n’a pas été facile, ce ne l’est toujours pas…

C’est donc déterminée finalement à ne pas baisser les bras que je me suis décidée à aller voir si vraiment entre la quête de sens et l’émancipation féminine il y avait cet abîme insurmontable et si il n’y avait pas moyen de s’affranchir de ces postulats afin de réconcilier l’inconciliable !!

A ce niveau de  ma vie et de mes modestes recherches, je pourrais avancer sans risques de trop me tromper qu’il n’y a à mon sens aucune contradiction entre vivre sa spiritualité et revendiquer une libération féminine dans et par ce référentiel islamique qui fait tant peur !. 

L’islam, tel que je tente de le comprendre actuellement, tel que je tente de le vivre spirituellement et humainement parlant, ne saurait être source d’oppression de la femme, par le simple fait que, et à l’instar des autres révélations monothéistes, il a été justement révélé afin de libérer les êtres humains,  tous les êtres humains, sans distinction de sexe, de race, ou de classe sociale, de toutes les oppressions quel que soient leur nature…

Il est vrai que l’état actuel de l’islam comme il est reflété par les sociétés et communautés islamiques à travers le monde ne facilite en aucun cas ni le discernement ni la compréhension de la complexité des  problèmes et des contradictions qui jour après jours minent ces sociétés en mal d’identité.

Il faudrait dans ce sens rappeler que si pour les occidentaux parler de féminisme et d’islam est  incompréhensible  pour la majorité des musulmans c’est tout simplement de l’hérésie ! L’émancipation féminine occidentale a toujours été le symptôme majeur de la « dépravation morale » de l’Occident et le signe de sa chute imminente. Et le terme de féminisme, même pour les plus modérés, est lié à une histoire occidentale intrinsèquement opposée à la conception islamique et donc inacceptable dans la culture islamique.

Le gouffre entre les deux visions est immense et il sera difficile de prétendre  dépasser  par un simple écrit  une si longue fracture sociohistorique.

C’est exactement à ce quoi prétend le Féminisme islamique : réunir dans un même concept les principes universels du féminisme avec un référentiel de droits puisé dans les sources de l’islam. Ce n’est ni contradictoire, ni impossible, il s’agit  juste de faire l’effort de laisser de côté la vision binaire qui caractérise notre approche contemporaine basée sur le rejet et l’exclusion de l’Autre…

 

Au cours de mes recherches sur les femmes et les religions, je me suis aperçue au fur et à mesure de mes lectures que, malgré les divergences concrètes dans le vécu, l’historique et les dogmes propres à chaque religion, il y avait, un point commun, récurrent et transcendant de façon implacable la diversité religieuse : l’infériorité de la femme. Chaque système religieux s’est employé à travers l’histoire a relégué les femmes dans les bas fonds d’une subordination éternelle. Cette conception  universelle et prépondérante commune à toutes les lectures religieuses m’a en quelque sorte, fait « sortir », si l’on puisse dire, de mon « particularisme » musulman. Je me suis retrouvée, quelque part, dans les revendications de toutes ces femmes, chacune à partir de sa tradition religieuse, voulant, manifester, son attachement à la foi et son refus de croire que le mépris des femmes est une prescription sacrée.

 



[1] Entrevue avec Soeur Emanuelle faites dans « Madame Figaro » du 24 Juin 2006 ; Numéro 19250

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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