Asma LAMRABET

Rôle des religions dans la paix mondiale 

 

Rôle des religions dans la paix mondiale : utopies ou sources d’espoir ?

 

 

 

Quand on relit l’histoire des religions à l’échelle mondiale, on a tendance à douter du rôle pacificateur des religions ! En effet, on s’aperçoit malheureusement que les religions certes prêchent la paix mais en même temps elles ont en  fait plutôt fait la guerre !

 

La lutte contre les hérétiques, les croisades, l’inquisition, l’excommunication, les génocides,  le takfirisme contemporain… Malgré le lien étroit avec la géopolitique, les tensions en Afghanistan, au Pakistan, en Irak, Syrie nous en dise long sur les relations complexes qui s’établissent entre la religion et la violence.

 

Les religions, semblent être « au cœur des grands conflits de notre époque » et disons-le d’emblée : aucune religion aujourd’hui -ni de point de vue historique ni contemporain- (même les sagesses philosophiques asiatiques) n’a de leçon à donner à d’autres sur deux questions structurelles à toutes les traditions religieuses : la violence au nom du religieux et la question des femmes !

 

Mais malgré cette configuration globale  on peut se poser une question naïve : Est-ce vraiment le religieux qui s’oppose à la paix/ et ou opprime ou  bien les systèmes de pouvoir  qui à chaque  mouvement de l’histoire se  réapproprient le sacré afin de bien asseoir leur légitimité ?? Car, comme dirait  Markus A. Weingardt, chercheur sur la paix, « Quiconque veut attiser les conflits et faire la guerre n’a pas besoin de la religion pour les justifier ».

                            

S‘il est vrai que de nombreuses personnes meurent et ont subi (subissent encore) l’horreur des souffrances motivées par la religion au cours de l’histoire : Le monde était-il / serait-il vraiment plus pacifique sans la religion ? Je ne pense pas. Les visions et idéologies séculières comme le  fascisme, les nationalismes, le racisme, le colonialisme,  le communisme, l’impérialisme et ses intérêts géopolitiques, suffisent à répondre par la négative ! La grande majorité des millions de morts au cours des guerres du XXe siècle ont été victimes d’idéologies séculières et non pas d’une violence motivée directement par une religion donnée.

 

Il reste donc aussi vrai que les religions ont pu apporter la paix et dénouer de nombreux  conflits.  Les religions sont, en effet,  à même, par leur force d’incitation morale, de promouvoir et d’instaurer la paix sur terre.

 

Mais à ce niveau-là, il faudrait peut-être faire au préalable la distinction entre la dimension spirituelle et éthique des religions et leur institutionnalisation et officialisation en autorité et en instance hiérarchique. 

 

Même l’islam qui initialement est né sans autorité hiérarchique intermédiaire a édifié avec le temps ses diverses institutions religieuses et représentations officielles à savoir : les califes, imams et muftis, qui aujourd’hui constituent de par leur forte influence et leur pouvoir hégémonique sur le savoir religieux des formes d’autorité religieuse incontournables. 

 

Où réside le problème ?

Après avoir fait la distinction entre message spirituel des religions et sa dimension institutionnelle, on pourrait facilement répondre que ce sont en fait les grandes institutions des différentes traditions avec leur autorité sacrée et l’instrumentalisation politique subie, qui ont à un moment ou autre cautionner la violence et entraver la paix au nom du sacré.

 

Aujourd’hui, il est vrai que la politisation de la religion a désormais envahi tout l’espace géopolitique du monde monothéiste et il reste vrai aussi que l’instrumentalisation religieuse des conflits et des violences profanes n’est plus à démontrer et que derrière les multiples slogans religieux il y a des crises identitaires, ethniques et ou politiques qui ont fait le lit des guerres les plus meurtrières.

 

Tout cela reste vrai, cependant, il faudrait reconnaitre que toutes ces instrumentalisations politiques  du religieux, se font cependant, au nom d’une lecture des sources scripturaires d’origine et donc trouvent un certain nombre d’arguments textuels qui encouragent, en filigrane,  voire cautionnent inconsciemment parfois une certaine tendance à la violence, que des extrémismes de tout bord vont utiliser pour confirmer  la légitimité de leur cause.

 

Et c’est là, à mon humble avis, où il faudrait que les traditions monothéistes – notamment l’islam aujourd’hui – puissent initier aujourd’hui un vrai travail de relecture et de re-contextualisation historique de fond pour apporter des solutions concrètes aux multiples impasses théologiques de la lecture traditionaliste.  

 

Il s’agit aussi de sortir de la banale rhétorique du dialogue interreligieux et de ses improductifs monologues qui sont à l’antipode parfois de nos tristes réalités.  Car et disons- le clairement, les religions ne dialoguent pas, elles ne l’ont jamais fait et ne le feront jamais… Ce sont les êtres humains porteurs de la foi, croyants et témoins de ces différentes traditions religieuses qui peuvent dialoguer, du comment ils vivent, se côtoient, et parfois s’entredéchirent dans la réalité de tous les jours.  

 

Il faudrait commencer par questionner nos propres convictions, celles que l’on nous a inculqué et qui dans la majorité des religions reflètent la suprématie, la condescendance, la certitude de que nous sommes et pas les autres, seuls porteurs de la vérité divine et que les autres croyants/es sont pauvres d’eux, perdus et damnés à jamais.

 

Cette aptitude à nous considérer comme détenteurs de la « Vérité Divine » et qui exclut tous/toutes ceux et celles qui la refusent est la matrice nourricière de toutes les violences symboliques ou réelles d’hier et de celles encore à venir…Elle entrave ce qui est l’essence même des monothéismes : l’unicité divine libératrice qui doit être notre «  lieu théologique commun »

 

Il faudrait donc avoir le courage intellectuel et « spirituel » de faire une approche non apologétique et réaliste des Textes. Certains récits (Bible) et Coran sont plus ou moins violents ; le nier ou refuser de le voir c’est continuer de laisser aux extrémistes le soin de les utiliser et de les manipuler à leur guise.

 

La Lecture contextualisée et historicisée de ces passages- je le dis essentiellement pour l’islam – n’est pas en contradiction avec une lecture émanant de la foi et de la conviction profonde en une transcendance.  D’ailleurs, à ce niveau il faudrait rappeler que la tendance de l’exégèse traditionnelle classique était plutôt de spécifier les circonstances de révélation (asbab anuzul) de tel ou tel verset, alors qu’une lecture monolithique aujourd’hui tend à l’immuabilité du sens et de là à sa mutation en arme idéologique.

 

Conclusions :

 

C’est aux institutions ainsi qu’aux acteurs religieux que revient la dure tâche de la responsabilité morale de la Paix sociale et de là globale et dont la plus importante est celle d’abord de ne plus être dans le déni de la réalité du monde dans le quel nous vivons ; Ce monde complétement bouleversé par les défis d’une mondialisation qui a chamboulé les fondements des sociétés humaines d’aujourd’hui… Et refuser de le voir c’est refuser de comprendre la complexité de notre réalité et donc cautionner indirectement les violences quotidiennes que subissent les identités en mal d’être.  

 

Oui les institutions religieuses - de quelque religion monothéiste qu’elles soient-  ne cautionnent généralement pas et officiellement l’intégrisme et ses violences, mais elles doivent le faire concrètement sur le terrain des réalités, grâce au formidable potentiel éthique du message spirituel de chaque tradition monothéiste.

 

Il faudrait pour cela que le caractère non-violent de toutes les religions et de leurs textes sacrés soit largement diffusé et constituer de ce fait le fondement de l’éducation des croyants/es et des non croyants/es.

 

Une paix véritable et durable n’est possible qu’à travers  la justice,  la réconciliation avec soi puis avec les autres et c’est là que les représentants des différentes traditions religieuses peuvent contribuer en puisant au sein de leurs sources sacrées respectives.

 

S’engager au nom des religions pour la paix c’est s’engager sans conditions en faveur de la liberté de croire ou de ne pas croire parce que sans cette liberté fondamentale il n’y a pas de liberté tout court.

La paix est à ce prix. Libertés individuelles, égalité hommes femmes, liberté de conviction, justice sociale, lutte contre les discriminations sociales et raciales… C’est sur toutes ces questions que les religions ont leur mot à dire et trouver des solutions à ces questions c’est travailler à la paix sociale et mondiale…

Oui les religions sont porteuses d’un message de paix et de liberté, mais ont-elles aujourd’hui les moyens de le dire et de l’appliquer dans la complexité de notre monde d’aujourd’hui ? Ce n’est pas aux religions de répondre à cette question mais à ceux qui prétendent aujourd’hui parler en son nom !

 Asma Lamrabet

Mai 2019

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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