Asma LAMRABET

Voile ou Hijab des femmes musulmanes entre l’idéologie coloniale et l’idéologie islamique traditionaliste : une vision décoloniale

 

Voile ou Hijab des femmes musulmanes  entre l’idéologie coloniale et l’idéologie islamique traditionaliste : une vision décoloniale

 

Asma Lamrabet

 

Summer University Grenade Juin 2013

I Introduction :

Nul besoin de démontrer encore comment la thématique du voile des femmes musulmanes est aujourd’hui au cœur du débat féministe mais aussi de tous les débats sur la modernité, la liberté et la place du religieux dans nos sociétés contemporaines.

La focalisation obsessive  autour de  ce sujet semble être à nos yeux  très révélatrice de l’approche binaire véhiculée tout autant par la vision néo –orientaliste hégémonique que par celle de la rhétorique identitaire du discours islamique. 

Il nous est apparu important de déconstruire ces deux visions dominantes, dans le but de proposer une pensée alternative, capable de nous faire sortir des impasses intellectuelles actuelles.    

Cette question semble  être, en effet,  finalement prise en otage entre  la vision néo-orientaliste propre de l’idéologie dominante et celle en miroir d’un certain discours traditionaliste islamique qui semble être réfractaire à toute vision réformiste.

En effet, « le voilement » des femmes musulmanes est  considéré comme étant le marqueur de visibilité de l’islamisation aussi bien dans les pays musulmans qu’en Occident. La vision néo orientaliste trace le lieu de séparation entre « voilement » et « dévoilement » comme étant respectivement les lieux de représentation entre l’archaïsme de la tradition comme espace de « voilement » et l’espace modernité comme espace de « dévoilement ».

La vision islamique, quant à elle, conçoit le « voilement » comme étant le marqueur essentiel d’une identité islamique, très fragile et constamment menacé par le « dévoilement » reflet d’une occidentalisation rampante.

Le « voilement » dans l’imaginaire islamique c’est la continuité, la conservation  et la préservation de  l’espace identitaire normatif islamique et  sa pérennisation.

Dans les deux visions tout semble se jouer donc autour du corps des femmes. Se « dévoiler » pour les uns c’est se « moderniser » et « s’émanciper » tandis que pour les autres s’est « trahir » ses racines et  c’est rompre avec son identité religieuse.

Alors que se voiler  revient pour l’idéologie moderniste à se situer en dehors de la modernité, dans la vision islamique  c’est s’enraciner dans l’espace identitaire islamique, autrement dit c’est « résister » à l’occidentalisation.

C’est que le voile dessine les frontières d’un  « impensé » entre la question de la visibilité et le corps féminin et toute la définition de la modernité et de ses expressions. Le corps des femmes musulmanes aujourd’hui semblent encore incarner le lieu de tension entre les représentations de la modernité et celles de l’anti - modernité.

Je poserais là une question puérile : pourquoi reviendrait-il aux femmes musulmanes et uniquement à elles seules, de porter le « poids » de cette visibilité multiple ? Celle à la fois de la modernité et  de l’islam ?

Quelle est la raison de la peur derrière le « voilement » ? Est - ce cet acharnement puéril  à rendre « invisible » - par un surplus  de visibilité - les rapports entre sphère privé et publique ? Ou bien est ce l’excès de pudeur que semble symboliser le voile et qui redéfini les rapports « modernes » entre hommes et femmes ?

Le voile n’est –il pas  finalement ce lieu de tous les paradoxes puisque tout en dissimulant il met à nu la vulnérabilité de l’idéal égalitaire, des  différences et des rapports dominants/dominés mais aussi et surtout l’incohérence  de l’imaginaire  musulman quant à cette question du corps des femmes !

II Perspectives politico - historiques du voile ou « hijab » dans le monde musulman :

Jusqu’au début du 19ème siècle on peut résumer brièvement l’habit des femmes arabes, berbères et musulmanes à une diversité vestimentaire qui va du Haik, à la Jellaba, au tchador, niquab, longs voiles noir, blanc ou colorées jusqu’aux foulards des campagnardes etc.…Il y avait une diversité vestimentaire géographique où se mêlait le religieux avec le culturel comme dans d’autres régions notamment  de la méditerranée tel que la Sicile ou le sud de l’Espagne.

Au Maroc, par exemple, il était impossible de différencier  les femmes de confession juive des femmes musulmanes, toutes les deux portaient  la jellaba qui doit –on le rappeler - a été créé par les artisans juifs marocains d’abord pour les hommes ! 

Il n’est pas étonnant de noter de prime abord que l’histoire contemporaine du voile ou hijab telle qu’elle est comprise aujourd’hui  a commencé en Egypte et que c’est encore là- bas qu’aujourd’hui  se manifeste avec le plus de virulence tout le débat sur la question du corps des femmes et l’approche du religieux sur cette question.

On peut   résumer les grandes évolutions de la question du voile/hijab  à quatre périodes :

1)      Période de la colonisation de la majorité des pays arabes :

C’est vers la fin du 19ème siècle et au sein d’une Egypte soumise au début de  la colonisation britannique que le premier débat sur le voilement des femmes va être soulevé. En effet, le grand gouverneur d’Egypte Mohammed Ali pacha va envoyer trois savants religieux d’Al Azhar à Paris – considéré, à l’époque,  comme le centre du monde civilisé à l’époque , afin que ces derniers s’initient aux avancées et progrès scientifiques et académiques de l’Occident et de ses Lumières.

Parmi ces trois religieux c’est le Sheikh Rifaat Attahtawi  qui à son retour, sera le premier à provoquer la polémique en rédigeant un ouvrage dans lequel il expose son analyse et ses impressions sur son expérience parisienne et où il conclut que la mixité et l’émancipation des femmes occidentales n’est pas synonyme de déliquescence des mœurs comme il était communément perçu dans la vision orientale. Dans son livre, dument validé par l’imam d’Al Azhar de l’époque et du gouvernant d’Egypte, il critique fermement les pratiques comme la répudiation, la polygamie et la non mixité[1]. Une importante polémique va suivre la sortie de ce livre mais aussi les ouvrages d’autres auteurs égyptiens appelant à la libération des femmes du Hijab de l’époque[2].

Mais c’est sans aucun doute le livre du Duc d’Harcourt, « l’Egypte et les Egyptiens », aux forts relents orientalistes,  qui  va être le déclencheur de l’intense  débat sur les femmes, d’abord en Egypte, puis dans le reste des pays musulmans[3]. Ce livre critique d’une façon acerbe le statut des femmes en Égypte, leur voilement, leur réclusion et leur discrimination et  remet en cause leur statut en islam à travers notamment cette question de voilement ou Hijab à comprendre ici en tant que réclusion. Voiler les femmes, revenait,  à cette époque  à confiner les femmes dans leurs espace privé et les empêcher d’accéder à l’espace public.

C’est vers les années 1900 et suite à toute la polémique qui a suivi les critiques du livre du Duc d’Harcourt,  qu’apparaitra un livre qui constituera ce que l’on pourra appeler  la deuxième vague du débat sur le Hijab et le statut des femmes, à savoir,  le livre de Quassim Amine « tahrir el mar’a »[4].  Quassim Amine, à travers ce livre, va dénoncer fermement les traditions misogynes qui  oppriment les femmes au nom de l’islam et  il y affirme que ce n’est pas l’islam en tant que religion qui impose leur réclusion mais la culture et la tradition patriarcale locale.

Il faut bien comprendre ici que Quassim  Amine critiquait  le Hijab en tant que voilement intégral de la femme  (niquab ou burqua)   qui était, à ses yeux,  synonyme de réclusion. Il  revendiquait, tout au long  de son livre, l’idée du dévoilement comme étant la voie à la légitime participation sociopolitique des femmes.

Le livre de Quassim Amine a constitué sans aucun doute un tournant décisif dans le discours sur l’émancipation des femmes arabes et notamment sur cette question du hijab. Il a suscité une polémique des plus virulentes puisque l’on a  dénombré pas moins d’une centaine de livres comme réponses enflammées à son texte.

C’était là le point de départ d’un débat  qui n’en finira pas de provoquer des débats polémiques, passionnés et d’une extrême virulence et ce à travers l’ensemble du monde musulman.

Il faudrait cependant savoir remettre ce débat dans le contexte de l’époque à savoir celui d’une Egypte et d’un monde arabe sous l’emprise coloniale. Tout ce que ce monde colonisateur représentait,  était perçu comme « étranger » à la culture islamique, comme une grave menace de déculturation et donc forcément inacceptable.

La question des femmes a été l’une des questions centrales dans ce rapport de force entre islam et colonisation et ses conséquences sont encore palpables, sous d’autres configurations, à travers le dilemme actuel entre modernité et tradition des sociétés arabo-musulmanes actuelles.

Le  dévoilement, comme l’émancipation et les droits des femmes,  étaient entendus donc comme des concepts conçus dans les bagages du colonisateur – perçu à juste titre avant tout comme étant un oppresseur -  et donc moralement et éthiquement irrecevables.

Le livre de Quassim Amine a donc été d’abord perçu  sous cet angle de vue, celui d’une idéologie d’aliénation qui trahissait la vision culturelle de l’époque mais aussi et surtout les principes de la résistance politique au colonisateur. C’était une période de vive tension politique et les idées de Quassim Amine ont été l’objet d’une condamnation quasi unanime allant jusqu’à l’accuser, ainsi que tous ceux qui étaient d’accord avec lui,  de « haute trahison » aux valeurs de la nation !

Il  faudrait aussi rappeler  que le colonisateur a, lui même,  largement contribué à l’instrumentalisation de l’histoire du voile des femmes musulmanes.

En effet, nulle besoin de démontrer encore comment les récits orientalistes sur l’infériorité des sociétés à coloniser -  et donc à civiliser ! - se sont focalisés essentiellement sur la thématique des femmes qui étaient considérées comme étant des êtres opprimées par leur tradition religieuse.

Ces récits étaient forts utiles pour le colonisateur européen puisque quelque part cela pouvait cautionner son entreprise coloniale de mission civilisatrice. L’homme blanc européen devait non pas uniquement apporter la civilisation à ces sociétés mais aussi « sauver » les femmes de l’oppression et la réclusion imposées par l’homme indigène[5].

L’une des figures de proue de cette politique coloniale a été sans aucun doute Lord Cromer, Consul général de la Grande Bretagne en Egypte pendant 24 ans[6]. Connu comme étant un fervent opposant au mouvement féministe et au suffrage des femmes dans son pays natal, la Grande Bretagne,  alors qu’en Egypte il fut un « supposé » grand défenseur  des droits des femmes et surtout un fervent opposant à leur voilement et réclusion ! Il n’avait de cesse de dénoncer le statut des femmes musulmanes, en affirmant : « le statut des femmes en Egypte mais aussi dans l’ensemble des pays mohammadiens constitue en soi un obstacle fatal à leur développement et à leur élévation au rang des nations civilisés »[7].

Alors que Lord Cromer répétait sa rhétorique envers les femmes, sur le plan pratique il ne faisait absolument rien  pour améliorer le sort de ces mêmes femmes. En effet, l’histoire raconte comment il ne voulait surtout pas investir l’argent de son gouvernement dans la construction d’écoles et dans l’éducation malgré la grande demande pour cela à l’époque. Il a même refusé d’assurer le financement d’une école de médecine pour femmes, crée depuis 1830,  acceptant seulement de donner des fonds pour celles de la formation des sages femmes[8].

Dans l’Algérie des années 1950 se sont  les mêmes scenarios qui vont se  répéter : « Les responsables de l’administration française en Algérie vont porter le maximum de leurs efforts sur le port du voile conçu en l’occurrence comme symbole du statut de la femme algérienne … L’administration dominante par l’intermédiaire des femmes de dignitaires militaires vont entreprendre des actions concrètes afin de défendre les femmes algériennes humiliées, cloitrées ect … on invite les femmes algériennes à « s‘indigner » et à jouer un rôle fondamental contre leur voiles et leur réclusion ….à chaque dose de semoule distribué correspond une dose d’indignation contre le voile et l’oppression des femmes ! L’administration coloniale investit des sommes importantes dans ce combat car gagner les femmes aux valeurs de l’administration coloniale c’est conquérir un pouvoir réel sur les hommes et de là déstructurer la culture algérienne… »[9]

Les cérémonies de dévoilement étaient légion : « Manifestations massives organisées par l’armée dans les villes à partir du 18 Mai 1958, dirigées par les épouses de généraux comme Mme Massu, complètement engagée dans la bataille conte le voile !!Dans plusieurs villes d’Algérie, on assiste au même scénario théâtrale : des groupes de femmes voilées marchent en parade jusqu’aux lieux dédiés aux cérémonies officielles  et se dévoilaient en public »[10].

Toujours dans le même style, une affiche éditée par le 5ème  bureau d’action psychologique de l’armée française (1957- 1960) proclamait : « N’êtes vous pas jolie ? Dévoilez vous ! »[11]

Ces scènes théâtrales de « dévoilement » publiques ne sont pas   inhérentes au seul passé « colonial » nord Africain. New York, le 10 février 2001- lors des cérémonies du Victory Day,  au Madison Square Garden -  a  été le siège d’un remake néo-colonialiste d’un scenario du même genre. En effet, une jeune afghane (porte parole du mouvement Rawa) a été au centre d’une cérémonie médiatique de dévoilement. La jeune afghane portant une burqua monte solennellement sur une scène où elle est accueillie par  l’influente présentatrice de télévision Oprah Winfrey qui lui ôte lentement son vêtement !

Cette femme est donc délivrée et sauvée par l’icône féministe Nord américaine, qui la fait passer, dans une gestualité symbolique très forte,  de l’espace de l’ombre et du voilement à celui  de la modernité, du dévoilement et de la lumière…

L’image des femmes musulmanes que l’on dévoile ou qui se sont ralliées au discours colonialiste est une image encore très présente dans l’imaginaire islamique où l’on associe toujours la tutelle coloniale au dévoilement et de là à toute conception de libération ou d’émancipation jugées comme étant des concepts aliénants puisque revendiqués par le colonisateur.

 

2)      La période des révolutions nationalistes et mouvements d’indépendances :

C’est avec la pensée réformiste de l’Imam Abdouh que l’on commencera a voire naitre une nouvelle pensée alliant entre la critique du discours islamique traditionaliste et le refus de tout asservissement au système colonial. De grandes figures nationalistes arabes, à l’instar Saad Zaghloul,   vont faire participer les femmes aux mouvements de  libération et d’indépendance, tout en critiquant, mais cette fois ci de l’intérieur de la tradition et de la culture arabomusulmane, la réclusion imposée à travers le voile couvrant tout le corps des femmes.  Le dévoilement devient dès lors légitime – dès lors qu’il n’est plus revendiqué par le colonialiste mais bien par les hommes arabes -  même si il continue à être critiqué par les conservateurs et les nouveaux  adeptes de la mouvance des frères musulmans. Des figures féminines vont ainsi initier la participation sociopolitique  des femmes comme Houda Chaarawi qui fait du dévoilement (du niquab) une symbolique de libération nationale.

C’est donc là la fin d’une étape idéologique ou le dévoilement du visage des femmes – le rejet du niquab – puis du foulard sur la tête et l’adaptation progressive  de l’habit occidental vont devenir progressivement la norme sociale et culturelle pour de longues décennies.  

 

3)      La revivification religieuse et l’émergence de la mouvance des frères musulmans (1928 ) :

Durant cette période et avec l’émergence de l’idéologie des frères musulmans, c’est la réapparition progressive du  hijab - ou foulard couvrant la chevelure -, ce dernier va cependant  prendre une autre connotation cette fois, à savoir celle de la revendication d’une éthique vestimentaire islamique avec des notions revivifiées comme celles de  la notion de pudeur et d’engagement religieux (iltizam) .

Il ne s’agit plus de cautionner la réclusion des femmes par le port du voile recouvrant tout le corps (niquab) ni l’interdiction de la participation sociale des femmes, mais il s’agirait plutôt de revendiquer le port d’habits conformes à une certaine vision dite islamique avec port du hijab ou voile cette fois ci conçue et compris comme étant un foulard couvrant uniquement les cheveux. La dénomination est restée la même puisque l’on parle toujours de hijab mais le glissement sémantique s’est fait plutôt sur le contenu. On est passé du terme « Hijab – niquab – réclusion » à celui du  « Hijab – foulard  - engagement religieux, moral et militantisme politique ».

Ce nouveau Hijab est l’expression d’une idéologie qui valorise  l’occultation des apparences féminines, jugées comme étant sources de tentation, en d’autres termes, il s’agit  d’être valorisée avant tout, en tant qu’être humain asexué et non en tant que femme. Cependant, force est de constater, que selon le même discours, cette valorisation de la neutralité sexuelle n’est mise en avant que dans le strict rapport à la corporalité, alors que dans l’espace public et familial, la hiérarchie sexuelle et l’assignation des femmes à leur fonction biologique sexuelle est de mise, elles constituent mêmes les valeurs socles de l’idéologie de l’islam dit politique voire aussi traditionaliste. 

Dans le même sens, il est a noter que même si la participation sociale des femmes est tolérée, la mixité est toujours interdite selon la vision des frères musulmans, qui ne conçoivent la  participation sociale des femmes  que  dans le strict domaine de la « daawa » ou prosélytisme religieux avec les personnes du même sexe.

Les années 1950 avec la période Nassérienne vont connaître un conflit idéologique entre les frères musulmans et les nationalistes dits laïques. S’en suivra une forte et dure répression de la mouvance des frères, ce qui va initier   le début de la focalisation des mouvances de l’islam politique sur la question du « hijab » en tant que symbole  de la résistance à la répression politique.  Le concept de Hijab avec la répression des frères prendra une connotation beaucoup plus  idéologique et politique  que religieuse.

4)      Périodes de la défaite de 1967 avec échec du panarabisme et émergence du religieux comme moyen de résistance jusqu’aux début années 1990 :

Avec l’échec du panarabisme et des politiques issues du nationalisme, c’est l’islam politique qui prendra le relais comme force de résistance mais surtout comme une forme de revalorisation identitaire. En pertes de repères, devant les impasses du nationalisme et durement mise à épreuve par la faillite des idéologies de gauche de l’époque, c’est le discours sur l’identité islamique, la Oumma et les symboles de l’appartenance religieuse qui vont prendre le relais et offrir aux peuples les moyens de retrouver une dignité perdue.  

C’est donc le début du retour en force du Hijab dans les campus universitaires mais aussi  du niquab  avec la naissance du néo-salafisme.

L’éducation des femmes est importante est revendiquée par tous les mouvements islamistes mais la non mixité et l’éducation rigoriste restent de mise.

L’entrée en scène dans les années 90 des nouveaux prédicateurs religieux indépendants et non politisés constituera un tournant important dans l’histoire de l’émergence du religieux dans les sociétés arabes. Ces dernies vont, en effet, focaliser l’essentiel de leur discours sur le hijab en tant que prescription islamique et critère incontournable pour toute femme musulmane digne de ce nom. 

Les femmes vont commencer  à se voiler massivement et généralement par libre choix personnel.  Un « libre choix » bien entendu à mettre sous l’égide d’une volontaire soumission à un ordre émis par la majorité des prêcheurs - savants musulmans, qui en présentant cette injonction comme étant d’ordre divine, ne laissait plus d’autres choix possibles, pour des femmes, en général, sincères dans leur quête de spiritualité.

La diffusion de ce phénomène du « hijab » a été le produit de la cooptation de la thématique du voile par à la fois l’islam politique et le discours religieux conservateur qui ont fait de ce symbole une question stratégique dans leur « dawa »  ou prosélytisme sociopolitique.

Ici comme dans l’argumentaire arboré au cours de la colonisation,  porter le hijab c’est en plus de  répondre à un ordre divin,  résister à la mondialisation,   aux politiques hégémoniques et aux valeurs amorales de  l’Occident.

La question du  Hijab devient donc un élément fondamental dans la « visibilité » du retour à un véritable islam et dans le discours islamique majoritaire il incarnera désormais  à lui seul toute l’identité islamique et dont le corps des femmes reste bien évidemment l’étendard absolu.

5) La question du hijab en Iran :

La révolution islamique en Iran a été l’un des moments crucial de l’histoire contemporaine du voile et de ses répercussions sur les mentalités en Occident comme dans le monde musulman. La résurgence du « Tchador » (tenue traditionnelle iranienne) avec la révolution fut d’abord considérée comme une revanche du peuple sur les politiques pro-occidentales du Chah d’Iran qui dans les années 1930 avait interdit le tchador. Avec la révolution de Khomeiny on assiste à la même logique en sens inverse, autrement dit l’imposition par la loi du voile aux femmes iraniennes. Le Chah avait interdit le voile au nom d’une lecture abusive de la laïcité tandis que l’ayatollah Khomeiny l’a imposé  au nom d’une lecture tout autant abusive de la religion.

Il est intéressant de rappeler ici que les premières femmes musulmanes à revendiquer ouvertement le féminisme islamique furent des iraniennes qui à l’issu de l’imposition juridique du voile, ont développé un nouveau discours sur le voile conçu, avant tout, comme étant un « droit » inhérent à la liberté de choix et non comme une loi et ont fortement critiqué la politique de l’état concernant sa prescription obligatoire[12].  

Il serait aussi important de noter que concernant la théorisation de la politique du voile en Iran,  il y avait plusieurs argumentaires qui et  selon l’anthropologue Ziba Mir Hosseynni,  on pourrait résumer à deux grandes visions. La première représentative de la vision majoritaire des Oulémas dont  notamment Motahari et la deuxième assez minoritaire qui résume la vision  des intellectuels à l’instar Ali Shariati.

L’argumentaire de Motahari reprenait en gros ce que le Fiqh ou jurisprudence islamique a toujours démontré quant à  l’obligation du voile, à savoir l’argumentaire lié au corps des femmes.  Les deux concepts de cet argumentaire étaient respectivement celui de la « awra » - le corps de la femme relève de l’illicite – et celui de la  « fitna » - la présence des femmes  perçue comme une tentation. Selon cette vision, une femme sans hijab est une femme sans défense et sans  protection[13].

Cette vision redéfinit en quelque sorte la construction sociale classique du Fiqh dans laquelle est maintenue l’idée majeure que la sexualité féminine est un danger pour la vie sociale. Ce n’est pas tant la présence des femmes qui est à l’origine du « désordre social » ou Fitna mais plutôt « leur désir inné de montrer leur beauté » qui provoque le désir sexuel – impossible à contrôler - chez les hommes !

Le hijab est donc considéré, toujours selon cette vision, comme étant la meilleure forme de protection des femmes contre l’agressivité sexuelle des hommes et afin que puisse se maintenir intact l’ordre social et moral. Evidemment, on retrouve ici la logique qui en filigrane met toute la charge morale et sociale sur le corps des femmes et leurs apparences physiques.

Pour l’intellectuel Iranien Shariati, il ne s’agit pas d’élaborer de textes en faveur du Hijab ou encore moins de développer un argumentaire selon la logique du Fiqh, qu’il considère dépassé et contraire à sa vision de l’islam. Il aborde plutôt cette thématique de façon indirecte lors de ses différentes conférences, donnant une signification innovante au Hijab qui le convertit dès lors, du symbole de la tradition aveugle à celui d’un symbole majeur de la révolution contre le despotisme du Chah.

Shariati va donc en effet, distinguer entre deux types de Hijab, celui dit traditionnel et celui de la révolution. Le premier n’a aucune valeur aux yeux de cet intellectuel qui affirme que celle qui le portent le font sans choix prémédité et par tradition culturelle. Le hijab de la révolution quant à lui est porté par des femmes qui l’ont choisi volontairement et qui à travers ce voile tentent de « récupérer » leur identité et leur foi.

Toujours selon Shariati, avec ce Hijab de la révolution,   cette génération de femmes veut dire au colonialisme occidental et à la culture européenne : «  cela fait cinquante ans que vous planifiez et essayez de me convertir  à une «pseudo occidentale » mais avec ce Hijab, je suis en train de vous dire NON ! Avec ce Hijab je suis en train de démonter cinquante ans de projets colonialistes et donc NON vous n’arriverez pas à me faire changer d’identité »[14]!

 

 

 

 

III Hijab : Que disent les sources et les textes fondateurs de l’islam ?

Les termes ou concepts utilisés par le Coran et qui ont une relation directe ou indirecte avec la question du corps sont les suivants : 

1)    Ghad y Bassar y Hafd el faraj  (Coran 24:30-31): « Dis aux croyants de baisser une partie de leurs regards (gahd el bassar) et ) protéger leurs parties intimes (hafd el faraj)…“….  « Dis aux croyantes de baisser une partie de leurs regards et de protéger leurs parties intimes.. » . Il s’agit aussi bien pour les femmes que les hommes de « baisser une partie de leurs regard » et de « protéger les parties intimes de leurs corps » , ce qui revient à dire qu’il s’agit de garder une certaine pudeur du regard et d’éviter la nudité du corps, et ce aussi bien pour les femmes que les hommes.

2)   Khoumourihina (Coran 24; 31), c’est le pluriel de khimar qui  étymologiquement  correspond à un fichu ou foulard . «  Et dis aux croyantes de ne montrer de leurs attraits (zinatouhouna) que ce qui en paraît et de rabattre leurs « voiles » khoumourihina sur leurs poitrines et de ne montrer leurs attraits qu’à leurs époux, beaux pères, fils.. » ; Dans ce verset il est demandé précisément aux femmes de rabattre les pans de leurs voiles (khoumourihina) sur leurs poitrines et ne montrer certains de leurs attraits (zinatouhouna) qu’aux proches de la famille. Mais ce qui est décrit comme étant « attrait » n’est pas explicite. Il n’y a pas plus de détails concernant les limites de ce qui devrait ou ne devrait pas paraître. La majorité des Oulémas ont cependant interprété ce verset comme étant l’obligation de se couvrir la tête et de ne laisser paraître que les mains et le visage.

3)   Jalabibihina: (Coran 33, 59): “ Ô Prophète dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de ramener un pan de leurs habits ( jalabibihina) sur elles ; c’est le meilleur moyen pour elles de se faire connaître et d’éviter ainsi d’être offensée ». Jalabibihina est le pluriel de jilbab et qui  correspond à un habit ample et long typique de la culture de la péninsule arabique. Ce verset a été révélé dans un contexte particulier au cours duquel  les premières croyantes qui sortaient la nuit pour aller à la mosquée, selon les directives du prophète, étaient fréquemment assaillies par des hommes. C’était, selon la majorité des interprétations exégétiques, un moyen donc de se faire reconnaître et d’être protégées en tant que croyantes .

4)   Libass Taquwa: (Coran 7 ;26)  «  Ô fils d’Adam, Nous vous avons dotés de vêtements pour couvrir votre nudité, ainsi que de parures, mais le meilleur vêtement est la crainte révérencielle Taquwa) de Dieu (libassa taquwa kheyr) ». Ce verset met en évidence de façon claire l’importance de l’intériorité (concept de Taquwa) par rapport aux apparences physiques et aux vêtements.

Et le Hijab ??

Il ya donc en tout quatre concepts qui sont plus ou moins liés aux vêtements et à l’apparence physique. Et parmi ces quatre concepts aucun ne fait référence au terme « Hijab », communément utilisé pour décrire le voile ou foulard.

En effet,  dans le Coran, le terme Hijab ne fait à aucun moment  référence à un habit, voile, ou quelconque vêtement. Il est utilisé à peu près sept fois et toujours dans le même sens à savoir celui d’une séparation ou rideau[15].

Mais le verset qui  a été le plus souvent utilisé pour prouver « l’obligation » de voiler les femmes et dans lequel on retrouve encore un fois le terme de Hijab est celui qui affirme : « Ô croyants n’entrez dans les demeures du prophète que si vous êtes invités….Quand vous demandez quelque chose aux épouses du Prophète, faites-le derrière un voile (Hijab) » Coran 33 ;53.

Ce verset a été révélé lors du mariage du prophète avec Zeynab Bint Jahch. En effet, le prophète en cette occasion a  invité un grand nombre de personnes pour un repas de fête organisé dans sa petite demeure. La tradition raconte qu’après le repas, trois hommes sont restés à discuter entre eux très tard dans la nuit alors qu’il ne restait plus dans la pièce que le prophète accompagné de la mariée.  Le prophète connu pour sa courtoisie n’a pas pu s’excuser auprès d’eux et s’est retrouvé extrêmement gêné par cette situation, c’est ainsi que fut révélé ce verset

Ce verset a donc été révélé dans un but pédagogique, celui de respecter l’intimité du prophète qui du fait de son statut spécifique  de Messager avait droit à un respect particulier lui et ses épouses. Cet événement a définitivement permit aux épouses du prophète d’accéder au statut particulier de « Mère des Croyants » et d’être respectés et honorées par tous les membres de la communauté[16].

Le Hijab dont il s’agit ici concerne uniquement les épouses du prophète et répond à une nécessité conjoncturelle de l’époque où il fallait préserver l’intimité du prophète et sa vie privée et ne correspond en aucun cas à un modèle de vêtement ou de comportement vestimentaire particulier. L’esprit de cette prescription était surtout d’éduquer les arabes de l’époque à respecter l’intimité des gens et  à les initier aux bonnes manières.

 

 

 

En conclusion…

Nous constatons que concernant les apparences physiques, le Coran transmet en filigrane ses orientations éthiques en relation avec le corps, en s’adressant aux femmes et aux hommes sans distinction particulière, mis à part les deux versets qui parlent de Khimar et Jilbab   (Coran 24 ;31 et Coran33 ;59) .

Ces derniers sont d’ailleurs les deux seuls versets qui évoquent l’éthique vestimentaire sans pour autant rentrer dans les détails secondaires que l’on retrouve aujourd’hui avec une précision minutieuse dans les livres destinés aux « musulmanes pratiquantes » !

Malheureusement, aujourd’hui, l’ensemble de l’éthique islamique semble être réduite au seul comportement vestimentaire des femmes, et uniquement à cela. Autrement dit, à  leurs corps, à la façon précise dont elles doivent être recouvertes, à la couleur et l’épaisseur du tissu, à l’uniformité de l’habit… Or, étant donné que le Coran n’a pas insisté, outre mesure, sur des vêtements spécifiques ou un aspect extérieur précis des femmes ni des hommes d’ailleurs, il serait très réducteur d’analyser les quelques versets sur le comportement vestimentaire en faisant abstraction de l’ensemble des orientations du message spirituel qui apporte une éthique globale du corps, et qui concerne autant les hommes que les femmes.

C’est à un comportement, donc,  de « décence » et de « sobriété », aussi bien physique que morale, que le Coran invite tout autant les croyants que les croyantes. Concernant les femmes, la formulation générale - et subtile - autour d’une certaine « apparence extérieure » est la preuve de la grande  « latitude » offerte par le message spirituel à ces dernières, afin de leur permettre de concilier leurs convictions spirituelles et leur contexte social respectif. 

Le Coran ne légifère donc en rien sur la nécessité d’un « uniforme » religieux qui serait strictement  « islamique », comme on aime à le démontrer actuellement ; l’intention spirituelle première n’était pas de déterminer des normes vestimentaires rigides ou figées qui seraient « fixées » une fois pour toutes, mais plutôt de « recommander » une « attitude », ou plutôt une « éthique » relative à la fois au corps et à l’esprit.

Il est fort regrettable de constater que cette première intention du message spirituel de l’islam est souvent omise, voire complètement ignorée, au détriment d’une lecture littéraliste qui réduit tout l’enseignement coranique concernant les femmes à la prétendue « obligation de porter le Hijab » ! Or, il n’a jamais été question dans le Coran d’une quelconque obligation formelle à l'apparence vestimentaire ; imposer des normes vestimentaires standardisés va à l’encontre des principes du message universel et de son éthique spirituelle.

La question du khimâr ou foulard fait partie de la morale, du comportement et de l’éthique de l’islam. Cela relève du domaine que les sciences islamiques appellent les mu‘âmalât, le champ social ou les relations humaines, et non du domaine des ‘ibâdât, de la pratique rituelle.

 

Une conviction religieuse ayant attrait à la foi n’a de sens que quand elle est vécue sans contrainte. Parler d’obligation islamique de porter le foulard ou khimâr ne peut donc être acceptable spirituellement parlant, car là aussi le Coran est clair : « Nul contrainte en religion ! » C’est là un des principes fondamentaux de l’islam. Il est donc clair que le but principal du Coran est d’inciter hommes et femmes à se libérer de toutes les aliénations matérialistes et des codes de la séduction, propres à chaque époque, et qui ne sont finalement que les projections concrètes des idéologies dominantes récurrentes à travers l’histoire de la civilisation humaine. 

Le Coran convie, et les hommes et les femmes, à s’approprier une culture de la décence et du respect réciproque : « Le meilleur vêtement est certes celui de la taqwâ ; c’est là un des signes de Dieu »… Ce verset résume sans aucun doute à lui seul l’enseignement central qu’il convient de retenir et de mettre en œuvre aujourd’hui, dans ce grand chaos de la consommation ultralibérale, de l’exubérance, du culte de l’apparence, et de l’arrogance, comme éthique de l’islam : libâs at-taqwâ, le vêtement de l’intériorité qui inéluctablement se reflète dans l’extériorité des actes et de l’agir de chaque homme et de chaque femme ; c’est cette éthique de l’intériorité, de la rigueur morale et de la décence qui est préférable aux yeux du Créateur.

 

IV – Et que dit le Fiqh ou jurisprudence islamique ?

 On retrouve dans les différents manuels juridiques quelques concepts en rapport avec  la thématique du corps (des femmes comme des hommes) à l’instar du « sitr » (dans le sens de protéger ou dissimuler le corps ) et de  « ghad el bassar »  de l’éthique du regard.

Le Fiqh fait référence à ces  concepts dans les chapitres en relation  avec les normes de la prière ou dans ceux qui abordent les relations matrimoniales. 

Les normes relatives à l’apparence physique et au recouvrement du corps lors de la  prière sont retrouvés dans le chapitre de la prière et y sont traités dans le registre des « actes du rituel » ou Ibadates. Le concept de « ghad el bassar » est retrouvé quant à lui dans le chapitre du mariage où il est considéré comme faisant partie des « actes sociales » ou Mouamalates.

On retrouve par ailleurs, dans les ouvrages de Fiqh,  la notion de Hijab en tant que « réclusion des femmes ».  Cette idée est basée sur les différentes constructions juridiques qui ont défini le corps des femmes comme étant  le lieu de toutes les tentations et comme source de « déshonneur » (Awra) et qui doit donc être indubitablement couvert, caché et dissimulé de tous les regards. Le corps des femmes étant source de tentation, ces dernières devaient être recluses (derrière un hijab) dans leurs demeures pour éviter le « désordre » (Fitna) sociale.

 

IV- Le discours contemporain sur le hijab : 
Aujourd’hui, il y a différents discours sur le hijab. Le discours majoritaire reste celui qui est tenu par – presque – l’ensemble de la catégorie des oulémas et qui au fond est une réadaptation de l’argumentaire classique du « hijab » comme affirmation de la « protection » du corps des femmes dans l’espace public. Pour d’autres, et notamment les militants de l’islam politique, le hijab reste un symbole fort de l’identité musulmane et de la résistance à l’occidentalisation des mœurs.

Les penseurs de la mouvance réformiste – minoritaires – estiment que le  port du hijab n’est pas à inclure dans le registre de « l’obligation » (wajib), mais plutôt dans celui du « recommandable » (mostahab ). Ce qui reste obligatoire – pour les femmes et les hommes – c’est de couvrir leur intimité, mais il reste que les latitudes de cette intimité ne sont pas véritablement définies et il n’y a pas de consensus quant aux limites de cette « intimité » ou (awra) et si, comme l’affirment la majorité des oulémas, les cheveux pour les femmes, entrent dans le cadre de cette intimité à couvrir.

Il y a aussi, ceux qui – très minoritaires  considèrent que le hijab n’est ni une obligation ni une recommandation[17].

On peut affirmer en résumé, que les notions contemporaines sur le hijab vont de l’imposition du port du hijab considéré comme un pilier de l’islam et donc une obligation islamique, à celles du hijab considéré comme une recommandation et qui laisse aux femmes le choix de se vêtir en accord avec leur conscience et leur conviction religieuse.

Il faudrait ici remarquer que certains oulémas ou penseurs parlent d’obligation religieuse de porter le voile ou foulard, tout en rappelant que cela ne doit pas faire l’objet d’une imposition et que cela doit émaner du libre choix des femmes. Or il y a dans ce genre de discours, une part de contradiction, car le seul fait d’affirmer que le  voile est une obligation divine, on ne laisse plus beaucoup de choix à celles qui devant une telle obligation se sentent « culpabilisée » par le fait de ne pas répondre à cette prescription religieuse.   

Le plus important ici , à mon humble avis, n’est pas qu’il y ait une pluralité d’interprétations, cela en fait devrait plutôt être le cas, puisque cela ouvre le champ à la liberté d’interprétation et de là au véritable libre choix. Mais ce qui est critiquable, c’est le fait que l’on ai réduit toute l’éthique du Coran par rapport au corps à ce voile ou hijab et de là au corps des femmes devenue par la force des choses  le lieu de bataille de toutes les idéologies. Ce « voile » ou khimar comme en parle le Coran est passé, à force de matraquage idéologique, d’une symbolique spirituelle contingente  à une image d’oppression péjorative difficile à réparer aujourd’hui.

 

 

V Conclusion :

Pour les femmes musulmanes d’aujourd’hui le véritable défi est de retrouver l’esprit libérateur du message spirituel de l’islam et le voile n’est pas une finalité spirituelle en soi mais une voie parmi tant d’autres…

Il y a  celles qui  éprouveront le besoin et la nécessité spirituelle de le porter et qui vivent cette expérience comme une profonde intimité et intériorité avec Dieu, et c’est là leur droit le plus absolu…Et il y a aussi celles qui ne perçoivent pas cette nécessité  et qui ne ressentent pas le besoin de  se conformer à certaines normes vestimentaires, qu’elles ne considèrent pas comme inhérentes à la spiritualité…Ces femmes sont aussi libres de choisir de vivre leur spiritualité comme le leur dicte leur conscience envers Dieu, c’est là aussi leur droit le plus absolu.  Dans les deux cas il s’agit de vivre sa spiritualité selon le même processus de libération et de conviction profonde.

Le foulard fait partie de l’éthique, et il est avant tout un droit des femmes… Celles-ci ci doivent avoir le droit de choisir de le porter ou non en connaissance de cause, puisque le droit de le porter est inéluctablement lié au droit de ne pas le porter.

 

Il faudrait aussi tenter de sortir de la vision binaire qui a toujours accompagné cette thématique, et cesser d’utiliser ce foulard comme un critère d’évaluation des femmes musulmanes. Selon la vision idéologique à laquelle on adhère, les uns le considèrent comme un critère d’oppression, et celle qui ne le porte pas est forcément jugée comme étant émancipée, alors que pour d’autres, il est le révélateur du degré de foi, et ne pas le porter est symptomatique d’un manque de conviction ou de la faiblesse de la foi.

 

Or, on ne le redira jamais assez, la foi ne se mesure pas à travers ces critères d’apparence, et on ne peut se permettre de porter des jugements de valeur sur les personnes en fonction de leur comportement vestimentaire.

Il s’agit donc plutôt d’offrir aux femmes la liberté d’expression et le droit de se réapproprier la liberté de choix comme un droit fondamental et de ne plus réduire toute la spiritualité des musulmanes à leur seule façon de s’habiller.
 

Il est aussi important de rappeler que les femmes musulmanes se doivent de choisir sans être obligées de tolérer ou d’accepter les discours simplistes aussi bien ceux véhiculés par les tenants du néo-oritentalisme que ceux scandés par les prêcheurs radicaux de l’idéologie islamique extrémiste.

Il faudrait aussi tenter de comprendre que beaucoup de femmes qui portent aujourd’hui le voile, le font finalement dans le but , non seulement , de respecter les normes religieuses mais aussi dans le but d’une quête de soi et d’une éthique de vie conforme à leur choix personnels. Et c’est justement, cette connexion entre la pratique religieuse et la quête de soi personnelle positive qui contredit la vision manichéenne qui oppose la modernité à la religion, en l’occurrence ici l’islam.   

En conclusion, il s’agit de réaffirmer qu’il est légitime pour les femmes musulmanes d’aujourd’hui de questionner des concepts tels que  la modernité et l’émancipation, et leur instrumentalisation respective par un  discours idéologique hégémonique dit universel.

Comme, il est aussi légitime pour ces mêmes femmes de  questionner aussi l’interprétation unique, consensuelle et patriarcale des textes sacrés par une élite savante masculine qui a marginalisé l’apport des femmes à travers l’histoire.

Il s’agit ici de revendiquer le droit à la diversité interprétative et à sa démocratisation. On ne peut plus tolérer le fait que la question du sens, des choix de vie et de spiritualité soient le monopole d’une institution ou d’un groupe d’individus généralement des hommes - qui parlent au nom d’une autorité divine !!

En tant que femmes musulmanes, on peut aussi bien se révolter contre ses propres traditions misogynes sans pour autant se désolidariser des causes justes de sa communauté de foi, ni cautionner les mythes  européocentriques de l’émancipation, de l’humanisme et du féminisme.

Initier une pensée critique féministe musulmane à partir de la « périphérie » du monde d’où l’on parle, où l’on vit, et où se déroulent nos propres luttes de femmes.

Notre spécificité en tant que femmes musulmanes ne doit pas être marginalisée par ce que Stuart Hall appelle « le vieil universalisme » mais on ne peut pas continuer à accepter qu’au nom de ces mêmes spécificités on nous oblige à la soumission à des logiques discriminatoires spécifiquement culturelles.

Nous ne voulons plus être des victimes anthropologiques des études féministes internationales et des instituts de stratégies géopolitiques ; nous voulons être libres de nos choix. Et cela ne peut se faire, et l’on en doit être conscients,  que si la réappropriation des valeurs de liberté et d’émancipation se fait à travers de nouveaux paradigmes puisés aussi bien dans le référentiel qui nous est propre que dans celui de la diversité humaine. C’est le seul moyen de dépasser cette éternelle logique de confrontation modernité versus tradition qui est aujourd’hui au cœur du débat sur les femmes musulmanes.   

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Rifaat Atahtawi : “Takliss al briz fi talkhiss bariz”  1872; El Cairo.

 

[2] Le Hijab de l’époque était en fait l’habit qui voilait toute le corps de la femme et qui ne laissait paraître que ses yeux, l’équivalent de la burqua d’aujourd’hui.

[3] Charles Francois- marie Harcourt (duc) ; « l’Egypte et les Egyptiens » Editions Plon, 1893.

[4] « Tahrir el mar’aa » , Quassem Amine, Dar el maarif, Soussa, Tunisie, 1990 .

[5] C’est ce que Spivack  Gayatri Chakravorty in « Can the subaltern speak ? », va parfaitement résumer dans sa phrase « les hommes blancs sauvent les femmes de couleur des hommes de couleur » ( white men are saving the brown women from brown men )

[6] Voir article « Lord Cromer : le colonialiste par excellence » :http://hebdo.ahram.org.eg/arab/ahram/2006/6/14/idee5.htm

[7] Felix Boggio Ewanié Epée et Stella Magliani Belkacem en  “ Les féministes blanches et l’empire” Editions La Fabrique, Paris, 2011.

[8] Références supra.

[9] D’après le livre de Frantz Fanon : « l’Algérie se dévoile » dans les féministe blanches et l’empire, la fabrique , Félix Boggio Ewanjé Epée et Stella Magliani Belkacem.

 

[10]  Références supra.

[11] Ibid.

[12] Ziba Mir Hosseynni, “The politics and hermeuneutics of hijab in Iran: from confinement to Choice”, Muslim World Journal of Human Rights, Vol 4, Issue 1, Article 2, 2007

 

[13] Ibid.

[14] Ibid, article de Ziba Mir Hosseini.

[15] Les versets dans lesquels on retrouve le terme de Hijab : 7 ; 46, 17 ;45, 19 ;17, 38 ;32, 41 ;5, 42 ; 51 et 33 ;53

 

[16] Atahrir wa Atanwir , Ibn Achour, tafssir du verset.

 

[17] A l’instar de l’Egyptien Jamal al Banna,  le Soudanais Hassan Tourabi ou encore le Tunisien Mohammed Talbi. 

 

À propos de l'auteur

ASMA LAMRABET

Native de Rabat (Maroc), Asma Lamrabet, exerce actuellement en tant que médecin biologiste à l’Hôpital Avicennes de Rabat. Elle a exercé durant plusieurs années (de 1995 à 2003) comme médecin bénévole dans des hôpitaux publics d'Espagne et d’Amérique latine, notamment à Santiago du Chili et à Mexico.

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